[Ermengard] Tome I - La Paix éphèmère

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Ermengard de Bertin Il y a 5 mois et 1 semaine

Le goût de l’acier comme de la terre lui poissaient la bouche. Ou était-ce le sang contre ses dents qui lui donnait cette métallique sensation dans les gencives. A relever les yeux, Ermengard ne voyait que l’étendue grise et crevassée de la ligne ennemie comme seul horizon. Un horizon bien vite disparu sous une tonne de débris, rejetés comme la houle par un obus qui s’écrasa plusieurs mètres plus loin, le forçant à se recroqueviller de nouveau contre la paroi terreuse de la tranchée.
Quelques mètres. Il ne manquait qu’une poignée de mètres…  La garde sa masse d’armes s’imprimait dans sa main à force d’en serrer le cuir, son écu tout aussi comprimé contre lui-même, ses membres s’en engourdissant d’être ainsi recroquevillé, le parfum suintant de son propre casque manquant presque de l’étouffer.

« Lieu..ant B..tin-Re.nau.. o. .on.e l’a..aut ? .ieu.nant ? »

Les sons lui étaient lointains, déformés au milieu du larsen constant qui comprimait ses tympans. Il n’arrivait à les distinguer des tremblements du sol, des cris des soldats qui s’écroulaient autour de lui, ou du rugissement lointain des machines de mort de Garlemald. Il s’était relevé, il ne savait quand, s’extirpant de sa tranchée à la faveur de la clameur hurlante d’un millier de fantômes et macchabés dérapant sur cette terre détrempée.
Et, à enfoncer une énième fois le talon dans la boue, porté par cet élan guerrier, l’odeur du céruléum brulé en plein dans les poumons, il ne vit pas le brasier qui se dévoilait, hérissant ses crocs comme des sabres, ni les yeux reptiliens qui surmontaient l’haleine infernale de la bête.

«B..tin-Re.nau.. ! »

Le souffle brulant faisait déjà fondre sa maille jusqu’à se joindre à la chair, la terre sous ses pieds se vitrifiant de cette simple présence, de ces yeux mortels qui le fixaient alors qu’il tenait avec peine sa lance trempée de son propre sang. Il n’eut que la force pour relever encore son écu déjà éventré avant que l’incendie monstrueux ne referme ses crocs sur lui.




« Lieutenant ! »

L’air glacial qui s’engouffrait dans l’aéronef lui fit presque mal alors que son sous-lieutenant le tirait du sommeil. Les grandes arcades gothiques de la cité se distinguaient derrière les balustrades de l’aéronef, comme autant de silhouettes éthérées semblant surgir de la brume.

Cela lui semblait davantage un rêve même que celui dont il venait de sortir. Voilà bien des mois, des années qu’il n’avait pas foulé les pavés d’Ishgard, et quand il la trouvait, c’était pour la voir bien différente de ce qu’il avait connu naguère.

« Les autorités ont reconstruit une bonne partie des strates supérieures, et ont ouvert deux nouveaux quartiers. Mais les strates inférieures sont encore en travaux, on ne pense pas que ce sera fini avant un bon moment au moins… »

Il écoutait patiemment le valet qui l’attendait sur le quai lui décrire ce qu’il avait manqué, tandis que d’autres serviteurs s’évertuaient de charger ses affaires comme ils pouvaient. Autour d’eux, des familles se réunissaient en larmes et joie, des soldats découvraient, comme lui, l’étrangeté d’un monde qui avait continué sans eux.

« Adalheid est-elle présente au Manoir.. ? »
« Elle est actuellement en déplacement avec le Vicomte à l’étranger, Monsieur. Tous deux devraient rentrer sous quelques jours. La Baronne a été prévenue par ailleurs de votre retour, elle sera présente ce soir à l’heure du souper. Souhaitez-vous que nous prévenions votre frère de votre arrivée ? »

Alberion et lui n’avaient jamais été vraiment proches. La grande différence d’âge qu’ils entretenaient et les aléas de la vie n’avaient pas aidé en cela, aussi ne savait-il guère s’il faisait grande différence qu’il soit prévenu ou pas. Si ça n’avait tenu qu’à lui, à dire vrai, il se serait contenté d’un mot seulement auprès de sa parenté, et même, ne serait-il pas rentré.
Si ça n’était tenu qu’à lui, simplement, il n’aurait jamais quitté Garlemald, et aurait vaqué à ses impératifs autant que nécessaire, mais il savait la chose impossible. On l’avait rappelé ici. La guerre était terminée.

Et pire que tout, tout, que cela soit la démobilisation massive de ses hommes, la gêne de ses supérieurs quant à lui proposer une affectation stable, les commentaires à mi-voix de sa famille ou le va et vient insouciant de ces citoyens qu’il connaissait d’ordinaire si tendus… Tout lui rappelait ce qu’il avait laissé derrière lui en s’engageant, et l’inutilité nouvelle de sa propre position.

N’était-ce pas le prix à payer pour cette paix qu’il avait appelé de ses vœux si souvent ? N’était-ce pas seulement une nouvelle épreuve que plaçait Halone pour lui ? Il s’en interrogeait souvent lors de ses prières quotidienne à la Cathédrale, reprenant petit à petit ses marques après des premiers temps qui lui avaient fait cet effet de gifle. S’il ne savait encore sa future affectation, il avait au moins pu retrouver Adalheid -Halone qu’elle avait changée-, et cette Cité grouillante qu’il avait presque oublié.

Tout lui rappelait son inutilité, que sa place n’était plus acquise, mais tout lui rappelait aussi qu’il devait gagner cette nouvelle place.
Ermengard de Bertin Il y a 3 mois et 2 jours

Les vrombissements des hélices des aéronefs et le grattement des plumes rythmaient les journées qui semblaient s’être considérablement allongées depuis qu’Ermengard avait pris pied à Ishgard. Il n’avait eu que quelques jours de battements avant que la hiérarchie ne finisse par le nommer à ce petit poste, aux douanes, après la dissolution de son escadron. Le lieutenant avait réussi certes à avoir sous ses ordres quelques soldats issus de son ancienne affectation, comme Sansavoirt ou Gillien mais la plupart de ses subalternes étaient des douaniers de souche, parfois de père en fils, qui se méfiaient plus que jamais d’un blanc-bec troufion de l’armée venu leur apprendre leur métier. Ils n’étaient pas les seuls à vrai dire.

Découvrir le monde après la fin de la guerre, c’était découvrir que les soldats n’avaient plus leur place au sein de ce jeune monde et qu’ils n’attiraient que la méfiance à incorporer les rangs de la garde. Ce poste lui avait permis de croiser nombre d’anciens compagnons d’armes, et si ce n’étaient quelques-uns, la plupart avaient démissionné, faute de pouvoir être casé quelque part, ou par soucis de légitimité. Ils avaient repris leurs anciennes activités, à moins d’être employés sur les faramineux chantiers des quartiers inférieurs. Il les comprenait que trop bien, à quoi bon poursuivre, si l’on se trouvait inutile... ?

Mais lui, à quoi pouvait-il bien être utile d’autre… ?



« … Plait-il ? Capitaine... ? En êtes-vous sûr... ? »

Le Sous-commandant Gardavoux relevait les yeux après les quelques mots balbutiés davantage que prononcés par son subalterne. Ermengard n’était pas déstabilisé si facilement, mais l’officier, en cet instant, l’avait retourné sans mal en lui annonçant personnellement qu’il était promu. Il parvint pour autant suffisamment à reprendre contenance pour entendre les explications mesurées qu’on lui confiait, même s’il lui semblait que son esprit les hachait : états de service excellents - médaille du mérite - tenue des dossiers - besoin d’un homme tel que vous – une nouvelle Ishgard – place vacante – vous serez transféré – constituer votre équipe – acceptez-vous ?

Ces derniers mots, il le savait, n’étaient qu’une formalité davantage qu’une véritable question. Il avait déjà la grâce, il le lisait entre les lignes, que le sous-commandant semblait avoir poussé sa candidature parmi toutes les autres qu’il avait en sa possession.

« J’aurais par ailleurs une première mission à vous confier. »

« Sous-Commandant... ? »

« Vous êtes sommé de partir sur le champ au Nid du Faucon pour une tournée d’inspection de nos effectifs. Nous avions accepté d’envoyer quelques hommes à la demande de la maison Durendaire, mais on nous signale la disparition d’une patrouille depuis plusieurs jours. Quoi qu’il ai pu advenir, la chose est suffisamment d’importance pour que nous dépêchions un officier sur place. Nous comptons sur vous, Capitaine de Bertin-Regnault. »

Et de ces mots, un souffle d’adrénaline se répandit dans les veines d’Ermengard. Il n’arrivait à en déterminer le pourquoi, mais il sentait de nouveau cet appel du devoir qui l’avait guidé ces dernières années revenir à la charge. Ses talons claquèrent en un impeccable salut.

« Je ne vous décevrai point, Monsieur ! »

Et Halone savait que sa hargne n’était qu’à la hauteur de sa reconnaissance envers son officier. Certainement que ce dernier le savait et qu’avoir joué ses pions de la sorte n’était qu’un moyen de s’assurer d’avoir un subalterne obéissant sous la main. Obéissant, et loyal envers le capitaine-général Aymeric comme envers la nouvelle République. Ces derniers mois, les rangs avaient été écrémés d’un certain nombre d’officiers plus bruyants ou gênants que la moyenne. Il s’était murmuré assez vite dans les rangs que si l’Inquisition n’était plus, c’était l’Ordre lui-même qui s’acquittait désormais de la mauvaise graine en son sein, surtout celle qui n’était plus tant alignée avec les temps nouveaux. Et cette mission, d’apparence anodine, n’allait que donner raison aux membres de l’Inspection générale.

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