Chargement en cours, veuillez patienter

[Ermengard] Tome I - La Paix éphèmère

Accueil > Forum > Registre des Gévaudois > Chroniques > [Ermengard] Tome I - La Paix éphèmère
Eul' Il y a 9 mois et 2 semaines

Le goût de l’acier comme de la terre lui poissaient la bouche. Ou était-ce le sang contre ses dents qui lui donnait cette métallique sensation dans les gencives. A relever les yeux, Ermengard ne voyait que l’étendue grise et crevassée de la ligne ennemie comme seul horizon. Un horizon bien vite disparu sous une tonne de débris, rejetés comme la houle par un obus qui s’écrasa plusieurs mètres plus loin, le forçant à se recroqueviller de nouveau contre la paroi terreuse de la tranchée.
Quelques mètres. Il ne manquait qu’une poignée de mètres…  La garde sa masse d’armes s’imprimait dans sa main à force d’en serrer le cuir, son écu tout aussi comprimé contre lui-même, ses membres s’en engourdissant d’être ainsi recroquevillé, le parfum suintant de son propre casque manquant presque de l’étouffer.

« Lieu..ant B..tin-Re.nau.. o. .on.e l’a..aut ? .ieu.nant ? »

Les sons lui étaient lointains, déformés au milieu du larsen constant qui comprimait ses tympans. Il n’arrivait à les distinguer des tremblements du sol, des cris des soldats qui s’écroulaient autour de lui, ou du rugissement lointain des machines de mort de Garlemald. Il s’était relevé, il ne savait quand, s’extirpant de sa tranchée à la faveur de la clameur hurlante d’un millier de fantômes et macchabés dérapant sur cette terre détrempée.
Et, à enfoncer une énième fois le talon dans la boue, porté par cet élan guerrier, l’odeur du céruléum brulé en plein dans les poumons, il ne vit pas le brasier qui se dévoilait, hérissant ses crocs comme des sabres, ni les yeux reptiliens qui surmontaient l’haleine infernale de la bête.

«B..tin-Re.nau.. ! »

Le souffle brulant faisait déjà fondre sa maille jusqu’à se joindre à la chair, la terre sous ses pieds se vitrifiant de cette simple présence, de ces yeux mortels qui le fixaient alors qu’il tenait avec peine sa lance trempée de son propre sang. Il n’eut que la force pour relever encore son écu déjà éventré avant que l’incendie monstrueux ne referme ses crocs sur lui.




« Lieutenant ! »

L’air glacial qui s’engouffrait dans l’aéronef lui fit presque mal alors que son sous-lieutenant le tirait du sommeil. Les grandes arcades gothiques de la cité se distinguaient derrière les balustrades de l’aéronef, comme autant de silhouettes éthérées semblant surgir de la brume.

Cela lui semblait davantage un rêve même que celui dont il venait de sortir. Voilà bien des mois, des années qu’il n’avait pas foulé les pavés d’Ishgard, et quand il la trouvait, c’était pour la voir bien différente de ce qu’il avait connu naguère.

« Les autorités ont reconstruit une bonne partie des strates supérieures, et ont ouvert deux nouveaux quartiers. Mais les strates inférieures sont encore en travaux, on ne pense pas que ce sera fini avant un bon moment au moins… »

Il écoutait patiemment le valet qui l’attendait sur le quai lui décrire ce qu’il avait manqué, tandis que d’autres serviteurs s’évertuaient de charger ses affaires comme ils pouvaient. Autour d’eux, des familles se réunissaient en larmes et joie, des soldats découvraient, comme lui, l’étrangeté d’un monde qui avait continué sans eux.

« Adalheid est-elle présente au Manoir.. ? »
« Elle est actuellement en déplacement avec le Vicomte à l’étranger, Monsieur. Tous deux devraient rentrer sous quelques jours. La Baronne a été prévenue par ailleurs de votre retour, elle sera présente ce soir à l’heure du souper. Souhaitez-vous que nous prévenions votre frère de votre arrivée ? »

Alberion et lui n’avaient jamais été vraiment proches. La grande différence d’âge qu’ils entretenaient et les aléas de la vie n’avaient pas aidé en cela, aussi ne savait-il guère s’il faisait grande différence qu’il soit prévenu ou pas. Si ça n’avait tenu qu’à lui, à dire vrai, il se serait contenté d’un mot seulement auprès de sa parenté, et même, ne serait-il pas rentré.
Si ça n’était tenu qu’à lui, simplement, il n’aurait jamais quitté Garlemald, et aurait vaqué à ses impératifs autant que nécessaire, mais il savait la chose impossible. On l’avait rappelé ici. La guerre était terminée.

Et pire que tout, tout, que cela soit la démobilisation massive de ses hommes, la gêne de ses supérieurs quant à lui proposer une affectation stable, les commentaires à mi-voix de sa famille ou le va et vient insouciant de ces citoyens qu’il connaissait d’ordinaire si tendus… Tout lui rappelait ce qu’il avait laissé derrière lui en s’engageant, et l’inutilité nouvelle de sa propre position.

N’était-ce pas le prix à payer pour cette paix qu’il avait appelé de ses vœux si souvent ? N’était-ce pas seulement une nouvelle épreuve que plaçait Halone pour lui ? Il s’en interrogeait souvent lors de ses prières quotidienne à la Cathédrale, reprenant petit à petit ses marques après des premiers temps qui lui avaient fait cet effet de gifle. S’il ne savait encore sa future affectation, il avait au moins pu retrouver Adalheid -Halone qu’elle avait changée-, et cette Cité grouillante qu’il avait presque oublié.

Tout lui rappelait son inutilité, que sa place n’était plus acquise, mais tout lui rappelait aussi qu’il devait gagner cette nouvelle place.
Eul' Il y a 7 mois et 2 semaines

Les vrombissements des hélices des aéronefs et le grattement des plumes rythmaient les journées qui semblaient s’être considérablement allongées depuis qu’Ermengard avait pris pied à Ishgard. Il n’avait eu que quelques jours de battements avant que la hiérarchie ne finisse par le nommer à ce petit poste, aux douanes, après la dissolution de son escadron. Le lieutenant avait réussi certes à avoir sous ses ordres quelques soldats issus de son ancienne affectation, comme Sansavoirt ou Gillien mais la plupart de ses subalternes étaient des douaniers de souche, parfois de père en fils, qui se méfiaient plus que jamais d’un blanc-bec troufion de l’armée venu leur apprendre leur métier. Ils n’étaient pas les seuls à vrai dire.

Découvrir le monde après la fin de la guerre, c’était découvrir que les soldats n’avaient plus leur place au sein de ce jeune monde et qu’ils n’attiraient que la méfiance à incorporer les rangs de la garde. Ce poste lui avait permis de croiser nombre d’anciens compagnons d’armes, et si ce n’étaient quelques-uns, la plupart avaient démissionné, faute de pouvoir être casé quelque part, ou par soucis de légitimité. Ils avaient repris leurs anciennes activités, à moins d’être employés sur les faramineux chantiers des quartiers inférieurs. Il les comprenait que trop bien, à quoi bon poursuivre, si l’on se trouvait inutile... ?

Mais lui, à quoi pouvait-il bien être utile d’autre… ?



« … Plait-il ? Capitaine... ? En êtes-vous sûr... ? »

Le Sous-commandant Gardavoux relevait les yeux après les quelques mots balbutiés davantage que prononcés par son subalterne. Ermengard n’était pas déstabilisé si facilement, mais l’officier, en cet instant, l’avait retourné sans mal en lui annonçant personnellement qu’il était promu. Il parvint pour autant suffisamment à reprendre contenance pour entendre les explications mesurées qu’on lui confiait, même s’il lui semblait que son esprit les hachait : états de service excellents - médaille du mérite - tenue des dossiers - besoin d’un homme tel que vous – une nouvelle Ishgard – place vacante – vous serez transféré – constituer votre équipe – acceptez-vous ?

Ces derniers mots, il le savait, n’étaient qu’une formalité davantage qu’une véritable question. Il avait déjà la grâce, il le lisait entre les lignes, que le sous-commandant semblait avoir poussé sa candidature parmi toutes les autres qu’il avait en sa possession.

« J’aurais par ailleurs une première mission à vous confier. »

« Sous-Commandant... ? »

« Vous êtes sommé de partir sur le champ au Nid du Faucon pour une tournée d’inspection de nos effectifs. Nous avions accepté d’envoyer quelques hommes à la demande de la maison Durendaire, mais on nous signale la disparition d’une patrouille depuis plusieurs jours. Quoi qu’il ai pu advenir, la chose est suffisamment d’importance pour que nous dépêchions un officier sur place. Nous comptons sur vous, Capitaine de Bertin-Regnault. »

Et de ces mots, un souffle d’adrénaline se répandit dans les veines d’Ermengard. Il n’arrivait à en déterminer le pourquoi, mais il sentait de nouveau cet appel du devoir qui l’avait guidé ces dernières années revenir à la charge. Ses talons claquèrent en un impeccable salut.

« Je ne vous décevrai point, Monsieur ! »

Et Halone savait que sa hargne n’était qu’à la hauteur de sa reconnaissance envers son officier. Certainement que ce dernier le savait et qu’avoir joué ses pions de la sorte n’était qu’un moyen de s’assurer d’avoir un subalterne obéissant sous la main. Obéissant, et loyal envers le capitaine-général Aymeric comme envers la nouvelle République. Ces derniers mois, les rangs avaient été écrémés d’un certain nombre d’officiers plus bruyants ou gênants que la moyenne. Il s’était murmuré assez vite dans les rangs que si l’Inquisition n’était plus, c’était l’Ordre lui-même qui s’acquittait désormais de la mauvaise graine en son sein, surtout celle qui n’était plus tant alignée avec les temps nouveaux. Et cette mission, d’apparence anodine, n’allait que donner raison aux membres de l’Inspection générale.
Eul' Il y a 1 semaine et 2 jours

TW : Brûlure, corps calciné dans la première partie

Le goût de l’acier comme de la terre lui poissaient la bouche. Ou était-ce le sang contre ses dents qui lui donnait cette métallique sensation dans les gencives. A relever les yeux, Ermengard ne voyait que l’étendue grise et crevassée de la ligne ennemie… Un horizon d’où émanait une lueur jaunâtre, comme un objectif lointain qu’il poursuivait inlassablement depuis des cloches, des jours, des semaines, mais qui s’éloignait toujours plus à mesure qu’il progressait.

Quel était l’objectif... ? Ses souvenirs s’agençaient vaguement, enfiévré qu’il était par son propre effort. Il voyait le visage d’une femme… Non plusieurs… Plusieurs femmes. Leurs cheveux étaient roux, étaient bruns, étaient blonds… Il devait les sauver coûte que coûte.

Un bruit spongieux le sortit de ses pensées, quand sa botte se coinça encore jusqu’au genou dans un cratère boueux. La pluie qui battait depuis des lunes entières sans discontinuer avait totalement détrempé les lieux, tant et si bien que chaque pas devenait une épreuve. La vase était épaisse, collante, elle l’agrippait comme des griffes, lui refusant parfois moindre mouvement. Son corps lui arrachait des douleurs de plus en plus violentes, qu’il endurait sans mot dire jusqu’à ce qu’il ne finisse par trébucher une première fois. La saveur de la boue le fit tousser, appuyé au sol avec un bras, le bas de son corps lentement, inexorablement avalé par la vase.

« Vous devriez sommeiller quelque peu, Ermengard. Mirez-vous, vous ne tenez point debout.»

La voix qu’il perçu le troublait à travers le silence cotonneux, à peine perclus des échos des combats au loin. Il n’avait pas remarqué jusqu’ici cette silhouette gravée sur le paysage, ses cheveux de feu, ceinturés d’une couronne de feuillage, cascadant autour d’un visage marqué. Autant que sa chevelure, sa robe bleue semblait le seul point de couleur de ce paysage sans vie, mais ses ailes repliées, nouées de cordes, étaient autant de cendre que leur environnement.

Était-elle une des femmes qu’il devait sauver... ? Il tendit la main vers elle, agrippant la boue pour se tirer de son trou, sans y parvenir, le bas de son corps lui semblant avalé, comme une gueule gorgée de crocs.

« Vous avez manqué bien des invitations de Sire Danifen, Ermengard. Il ne souhaite plus vous recevoir, de déception, quant à votre manque du respect du code. »

Ses yeux lui semblaient comme deux lacs calmes au milieu de l’incendie de ses cheveux. Elle se penchait sur lui, le surplombant de sa taille immense, indifférente à sa souffrance, ou de le voir ainsi glisser.

« Vous tombez. »

Aux mots de l’ange, des mains s’extirpaient de la boue, accrochant les mailles de l’armure templière. Ermengard avait sensation qu’on lui en arrachait les entrailles, perclus par une chaleur étouffante qui comprimait ses entrailles. Et pourtant, il s’entendit rétorquer sans faillir.

« Je ne tombe point. »
« Vous mentez. Où sont les éclaireurs, Ermengard ? Où sont les soldats que vous deviez retrouver ? »

Les doigts semblaient vouloir s’enfoncer en sa chair, les ongles cassés le mordant. Son souffle se coupait sous le regard impérieux de l’entité qui lui semblait prendre des figures monstrueuses

« Je-«
« Où sont les filles de Roncelierre ? Où sont les Vancouvert ? Où est Cassandre ? Les avez-vous extirpées à leur sort funeste ? »
« C-cessez. »


Le feu de ses cheveux semblait gagner la campagne grise alentours, le tumulte de la guerre les rattrapant, comme s’ils n’avaient pu jamais y échapper. Gagnés par l’enfer, la peau de son visage s’arrachait de lambeaux fumants, alors qu’elle le fixait de ses yeux hantés par les profondeurs. Sa robe elle-même s’enflammait, révélant son corps en sang, marqué par les plus infâmes sévices.

« Nous ne saurions cesser, Ermengard. Point avant d’avoir accompli ce qui nous incombe. »

La vase fumait de braises rougeoyantes qui harponnaient sa chair, la tuméfiant, la craquelant, la cloquant dans les cris d’une douleur qui lui faisait peu à peu perdre tout esprit. Vainement, il tendait la main, vers ce qui n’était plus qu’une gueule armée de crocs, ses yeux reptiliens se plongeant en lui.

« Vous leur mentez. Et vous vous mentez à vous-même. Vous êtes déjà mort. »

Les dents, comme des sabres, se brisèrent sur sa colonne, le craquement de ses propres os broyés s’imprimant comme une réminiscence.




L’appui de son bureau laissait une empreinte désagréable sur sa mâchoire. Il ne s’était même pas sentis glisser dans le sommeil, la plume encore entre les doigts. Il s’était si bien endormi de n’avoir trouvé le repos de toute la nuit que l’encre avait bavé jusque sur sa joue. L’aiguille de l’horloge rythmait le silence seulement troublé d’une respiration régulière. Celle d’une longue silhouette blanche comme la neige, aux cils délicats, enveloppée dans une cape noire, épaisse comme la nuit, le corps accueillit par un simple fauteuil bazardé en un coin du bureau encombré. Sa présence était devenue si familière, si rassurante, qu’il l’oubliait presque au milieu du chaos journalier, ne s’en rappelant que lorsqu’elle lui était absente. Ce que Seluna n’était que peu ces temps-ci, il devait dire. Malgré l’odeur de mort qui régnait encore dans cette pièce, ce fut comme s’il s’agissait du seul endroit où la chasseresse se sentait bienvenue.

La mort… Le regard d’Ermengard s’attardait encore vers cette pièce adjacente. Ses entrailles se remuaient toujours de cet échec, dans cette colère qui ne faisait que renforcer un peu plus sa détermination. Au point d’avoir pris une décision qui faisait résonner les cachots de hurlements. Des cris désormais tus. Une décision qu’il payerait, mais s’il pouvait en sauver des vies, il le savait, il pouvait le refaire. Quitte encore à mettre en péril sa position, à trancher dans le vif entre ses convictions.

Tout semblait s’être enchainé à une inexorable vitesse depuis que la place de Capitaine lui avait été allouée. Il y avait d’abord eu cette affaire, dont les contours lui semblaient étrangement flous malgré ses liasses de documentation, sur le Myriade, cette entité qui sévissait en Dravania et empoisonnait les cours d’eau. Comme si quelque chose… Il ne savait. Il n’arrivait à mettre le doigt dessus. Et les tribunaux non plus. L’affaire avait finalement été clôturée avec un minimum de coupables, et il le sentait, le cerveau de cette histoire courrait toujours. Mais aucun de ses supérieurs n’avait accepté ses demandes pour reprendre l’enquête.

Du reste… Il avait très vite trouvé une autre enquête sur laquelle plancher, quand sa route avait croisé celle du dénommé Harpagon Just. Une affaire de disparition, qui l’avait happé comme un chien t’arrache le pied. Les batardes de Roncelierre, toutes retrouvées assassinées, mutilées. Et maintenant, les filles de la famille Vancouvert, prises pour cibles à leur tour. Il était au départ persuadé d’être face à un déséquilibré, jusqu’à l’arrivée de Seluna et la Vicomtesse Lenore de Riverhood. Toutes deux l’avaient vite détrompées. C’était que les hommes de l’Ordre du Temple étaient rarement confrontés aux démons.

Ses yeux se posèrent de nouveau sur la silhouette endormie de Seluna, recroquevillée. Il se redressa, venant récupérer un de ses propres manteaux, pour le replacer sur elle. Halone savait qu’elle s’épuisait bien autant que lui sur cette affaire… En outre de ses propres problèmes familiaux. Elle lui en avait parlé à demi-mot au départ, et ils avaient finit par s’exposer l’un à l’autre, petit à petit. Une amitié, qui se formait peu à peu, fondée sur le respect l’un de l’autre. Sur une forme d’intimité partagée, qui risquait de s’effriter à tout moment, en attestait la lettre qu’il avait reçu, portant les armoiries Valsonge… Mais le déni, à cet instant, lui paraissait plus doux.

La solitude creusait un peu plus sa tombe, chaque jour. Et en cet instant, à batailler contre son propre néant, à affronter la perspective de l’abime, il avait besoin de sentir, qu’une nouvelle fois, il n’était pas seul en cette foutue galère. Peut-être pour mieux accepter sa fin future, et y trouver un sens.

Utilisation des données

Nos partenaires et nous-mêmes utilisons différentes technologies, telles que les cookies, pour personnaliser les contenus et les publicités, proposer des fonctionnalités sur les réseaux sociaux et analyser le trafic. Utilisez les boutons pour donner votre accord ou refuser.