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[ Seluna de Valsonge ] Chroniques

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Seluna Valsonge Il y a 2 mois et 4 semaines


Agenouillée dans la glace, à la faveur d’une pleine lune dont les rayons baignaient les plaines de Clairval, Seluna fixait le dôme noir qui se dressait à quelques yalms d’elle. Si sa vue percevait désormais les ténèbres les plus épaisses avec une grande clarté, celles-ci demeuraient impénétrables.

Ses mains, nues et entravées, s’enfonçaient dans la neige. Ses ongles griffaient sa peau pâle tandis qu’elle se balançait lentement, d’avant en arrière. Elle grelottait. Elle sentait à peine les battements de son cœur, et ses souffles ne formaient même plus la buée coutumière qui l’accompagnait dans ses terres natales.

Elle contraignait encore ses lèvres bleuies à se mouvoir, sa langue glacée à psalmodier. Les mots glissaient, écrasés dans sa gorge, comprimés dans sa poitrine — pour la centième, peut-être la millième fois.

« Il existe dans ce monde des pouvoirs anciens et oubliés, capables de métamorphoser des champs de pierres nues en merveilles vivantes, d’inscrire leur marque sur les montagnes, de drainer les océans et d’embraser les cieux. »

Son visage s’inclina lorsque qu’une bourrasque projeta un voile glacial contre ses yeux déjà meurtris. Elle siffla lentement entre ses dents, sous l’effet de la douleur.

« Ces forces n’ont jamais faibli ; au contraire, elles se sont renforcées avec le temps. Tapies dans l’ombre, elles attendent d’être découvertes. Et plus elles croissent, plus leur appel devient irrésistible. »

Ses deux mains retombèrent sur le sol gelé. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, un visage familier lui faisait face. Une peau noirâtre, durcie par une carapace luisante. Des yeux rouge carmin, aux multiples iris. Un sourire effroyablement étiré, comme si l'on avait tranché aux lames les commissures d’une bouche pour l’agrandir. Ce visage, elle l’aurait reconnu entre cent, entre mille.
Akasha.

Un démon.
Son démon.

Et sa voix, sifflante :
« Allons. Tu as assez expié pour des crimes que tu n’as pas commis. Retourne au camp. Réchauffe-toi. »
Mais la voix de Seluna, implacable, brisa ses douceurs.
« Beaucoup les convoitent : par soif de pouvoir, au nom de l’équilibre, ou pour mieux asseoir leur contrôle. Jadis, j’étais faible et naïve. Alors, j’ai juré : plus jamais. »
« Encore ce vieux texte fondateur stupide. »
« Peu résistent à l’attrait du pouvoir. »
« Tu répètes les paroles d’un homme mort depuis des siècles ! Tes ancêtres imbéciles s’en sont inspirés, croyant être quoi ? Plus dignes ? Plus sages ? Plus valeureux que les autres ?! »
« On murmure que j’en détiens trop. Que je ne suis pas digne de confiance. Peut-être ont-ils raison. »
« Oui. Exactement. Pourquoi ne t’en sers-tu pas, Seluna ? Tout serait plus simple si tu arrêtais de— »
« Mais le véritable pouvoir que je possède, c’est celui de choisir de ne pas l’utiliser. »

Un silence mauvais s’installa. Akasha bougea lentement, faisant craquer son corps déformé dans un élan de frustration palpable. Elle enfonça ses griffes recourbées dans la glace, provoquant un crissement odieux. Sa bouche se tordit, s’ouvrant après un long moment, elle qui n’était jamais vraiment à l’aise que dans le chant de ses propres litanies. Ces mots qu’elle murmurait inlassablement à l’oreille de sa porteuse depuis sa naissance.

Mais quelque chose l’en empêcha.

Quelque chose de si brutal qu’un hoquet échappa à la bête. Ses pattes se dressèrent d’un coup, et dans un geste de panique, elle s'abîma la gorge en la saisissant. Un liquide visqueux se répandit entre ses phalanges tordues.

Silence.

Le mot tourna dans l’esprit du cerbère, léger comme une plume. Il s’était imposé, sans avoir été prononcé. Reflet d’une volonté. Victoire d’une intention. Mais aussi — et surtout...

La discorde.

Un sourire fin, à peine perceptible, effleura le visage de Seluna. La neige amassée sur ses épaules tomba au sol lorsqu’elle se redressa, chancelante.

« Mais le véritable pouvoir que je possède, c’est celui de choisir de ne pas l’utiliser. »
Répéta-t-elle simplement, pour le vent, pour sa Déesse, qui venait d’allumer en elle une chaleur que seule la Foi pouvait offrir.
Seluna Valsonge Il y a 2 mois et 3 semaines


Trois âmes déambulaient dans la forêt du Val des Songes.
Ils auraient pu enfourcher leurs chocobos et rejoindre sans tarder le manoir aux lourdes pierres du Cerbère. Mais Seluna avait proposé que le chemin, depuis l’entrée du territoire des Valsonges, soit parcouru à pied. Une manœuvre pour gagner du temps, du temps pour être ensemble.

Malgré la tension encore palpable au sein du groupe, cette marche vers la demeure familiale était ponctuée de moments plus doux, de quelques réminiscences heureuses.

Parmi eux, deux âmes longtemps séparées semblaient enfin se retrouver. Et si l’on pensait que ce coup porté à la tête de la Maison Rouge et Noire allait l’achever, c’était sans compter sur ce lien si particulier que les chasseurs partagent entre eux.

Ils marchaient dans la forêt dangereuse du Val, sans que ni Seluna, ni Cyric, ni Ombeline ne soient envahis par la peur. Peut-être encore grisés par une victoire qu’on pouvait lire à la fois en demi-teinte… et en triomphe. Après tout, un être aimé avait été sauvé. N’était-ce pas là l’essentiel ?

« Qu’importe demain. Nous avons tout à reconstruire. Ce que je croyais perdu… n’est en réalité qu’une opportunité de recommencer, et de corriger ce qui doit l’être. Et… je compte sur vous. Sur vous deux. »

C’est ce qu’avait déclaré Seluna alors qu’ils traversaient Brumdelin, le village natal de la sorcière aux yeux lilas.

« … Je vous demande de me faire confiance. Nous avons reçu un coup. Mais un coup destiné à nous donner de l’élan, à nous, la nouvelle génération. J’en suis persuadée. »

Et si l’ambiance au sein du trio oscillait entre mélancolie et légèreté, elle trahissait surtout la force d’une fraternité : une fraternité qui renaissait pour certains… et naissait pour d’autres.

« Combattre et protéger. L’Ordre sera, tant que l’horreur sera. »

Mais pour l'heure, Cyric, Seluna et Ombeline allaient retrouver le manoir du Val des Songe. Il fallait retrouver le baron nommé si brutalement, ainsi qu'une Lyselle en proie à ses tourments. Il fallait que le cerbère lèche ses plaies avant que l'heure de reprendre les lames ne sonne.
Seluna Valsonge Il y a 2 mois et 1 semaine


C'était dans une des pièces inutilisées du sous-sol de l'Ordre de la Tour qu'elle avait pu s'installer. Les quelques fenêtres à barreaux donnant à hauteur de passage avaient été calfeutrées par d'épais rideaux de velours noir, et les bougies qui brûlaient dans l'espace peinaient à percer la pénombre.

La jeune femme tenait dans ses mains une urne de métal noir, relativement lourde. Le poids se rappelait sans cesse à ses doigts, piqûre douloureuse de la destruction de ce qu'elle avait un jour appelé foyer. Seluna dévissa le couvercle lentement, le visage fermé. Elle avait dû demander à Crispin d'aller jusqu'aux cryptes du Monastère, avant de se présenter à l’Œil du Loup. Il n'avait pas posé de questions, pas même lorsque sa supérieure lui avait ordonné de récupérer là-bas les cendres de ceux qui l’avaient précédée, partis par le feu d'une vieille rancune que le temps ne semblait pas apaiser.

Les yeux clos, elle resta un temps silencieuse, les bras entourant la boîte gravée. Les mots de leur serment résonnaient silencieusement, entre elle et le disparu : « Même dans la mort, je servirai. » Il n'y avait pas de frontières pour l'Ordre. Pas de destination trop lointaine.

Quelques mots honorant le dernier sacrifice de cet homme, qui avait partagé avec elle son sang et son combat, furent soufflés avant que la sorcière ne se penche pour entamer le rituel. Les cendres noircies commencèrent à couler au sol, traçant dans leur sillage un pentagramme qu'elle dessinait méticuleusement sur la pierre glacée. La complexité ne résidait pas seulement dans l'exécution, mais aussi dans les coordonnées. D’est en ouest, puis au sud-ouest, sud-est, et enfin deux branches se rejoignant au nord — que la sorcière ne ferma pas : il fallait offrir à cette Déesse une porte.

Seluna se redressa, puis entama une longue litanie pour appeler à elle quelque chose de plus ancien que les mots. Plus ancien que la guerre du Chant du Dragon.

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« Ô Velkh’Atra, Mère des Ombres et des Seuils, »

Au nord, Seluna avait disposé le crâne d’un dragonnet, qui, gueule ouverte, semblait la fixer au travers de la mort. La sorcière alla chercher le panier de fleurs pâles qui siégeait parmi les éléments rituels. Des fleurs flétries, représentant les décisions anciennes. Des fleurs fraîches pour les choix à venir. Des brins aux bourgeons qui n’avaient pas encore éclos, pour les décisions futures.

« Par la lame du choix et le fil des chemins,
Je me tiens là où le monde hésite,
Entre le pas et le destin. »

Puis elle se dirigea à l’est, déposant là une lanterne sans flamme, appelant l’entité à éclairer ceux qui cherchaient sa guidance.

« Trois lunes te suivent, et trois voix te nomment,
Une pour le passé — que tu scelles,
Une pour l’instant — que tu dévoiles,
Une pour l’avenir — que tu tais. »

À l’ouest, un osselet gravé du symbole de Velkh’Atra, surmonté d’un cristal d’éther de glace.

« Garde mes pas des routes traîtresses,
Cache mon nom aux murmures trop vifs,
Guide ma main si je dois choisir,
Et ferme mes yeux si le prix est trop lourd. »

Au sud-est, une clef noire rouillée, signe des connaissances qu’on souhaitait ouvrir, déverrouiller.

« Par la clef, par la lanterne, par le voile —
Je t’offre cette prière,
Dans le silence et la neige. »

Enfin, au sud-ouest, elle versa du sel mêlé à du charbon pilé. Terres de passages, de croisées, de rencontres.

Elle eut enfin l'impression d'être observée. Les paires d'yeux immatériels étaient au nombre de trois : la jeune fille, la mère et la vieille. Il lui fallait continuer, désormais. Se plaçant au nord du pentagramme, la blanche rejoignit ses mains au niveau de sa poitrine, reprenant la prière rituelle tandis qu'elle entamait sa marche dans le sens des aiguilles d'une montre.

Un parfum flotta alors dans l'air, venu de l'obscurité environnante. Elle le connaissait bien. Ce n'était pas la première fois qu'elle s'en remettait à la déesse païenne des croisées et de la lune. La rose de la jeune femme, l'encens de la mère, la cendre de la vieille. La vague sensation d'être observée s'était muée en un faisceau perçant, sondant l'âme de la Valsonge.

Les cristaux d’éther neutre disposés partout dans la pièce irradiaient eux aussi un peu plus intensément.

Alors, elle prit place au centre du pentagramme.

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« Ô Velkh’Atra, brume entre les mondes,
Je marche sans lumière, mais non sans foi.

Trois lunes guident, trois voix pèsent,
Celle du passé, du choix, du secret.

Garde mes pas des ombres bavardes,
Emmure mon nom dans ton voile.

Par la clef, par le vide, par les fleurs mortes —
Reçois mon offrande, mon silence, mon croisement. »

Les doigts de la sorcière attrapèrent la croix montée à son cou. C'était comme tenir quelque chose de vivant. De chaud, de réactif, de beau. Était-ce là la sensation d’embrasser un enfant ? Elle ne le savait pas. Mais ce simple contact chassa, pour quelques secondes, la lourde chape sombre qui s'était abattue sur elle depuis quelque temps.

Puis elle plongea, quittant la réalité de la Tour, de son environnement, pour glisser dans cet ailleurs conçu par un autre.

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« ... Je sais. Tu étais comme ça. Il me l'avait dit. »
Elle soupira, abaissant ses épaules.
« ... Je veux mourir en faisant ce que j'ai toujours fait. Avoir la certitude de ne plus jamais voir une personne que j'aime souffrir. Et partir... en entraînant avec moi tout ce que je peux. Aide-moi à le faire. »

L'homme aux traits doux qui lui faisait face finit par sourire doucement, et dans un mouvement plus grave, acquiesça.

« Si tu as besoin d’un châtiment divin, je le deviendrai alors. Et si cela doit me coûter le peu qu’il me reste, soit. J’ai déjà tout perdu, semble-t-il. »

Velkh’Atra, silencieuse, immatérielle, absorba les choix de sa croyante.

Seluna Valsonge Il y a 1 mois et 3 semaines


La pleine lune approchait. Dans la salle de rituel, les cristaux gorgés d’éther neutre diffusaient une lueur douce. Une présence, d’abord à peine perceptible, gagnait en densité. C’était dans les méandres des teintures noires qu’on croyait parfois deviner le poids de regards invisibles. Ils observaient, sans jamais juger.

Allongée doucement sur le sol gelé, pavé de pierres grossièrement taillées du sol-soul, Seluna laissait son esprit dériver. Les ombres ne l’effrayaient pas, elle les avait appelées. Leur attention silencieuse lui offrait une sensation étrange, à la fois familière et jamais réellement vécue. Une chaleur diffuse, presque maternelle, tranchée par le détachement d’un voile séparant à jamais la vie mortelle d’un monde éthéré, où seule la mort brouillait les frontières.

Les secondes s’égrenaient, marquant peu à peu la dérive de sa réalité. Les muscles tendus de la chasseuse, fatigués, se relâchaient un à un. Elle ne sentit plus d’abord ses doigts, refermés sur la croix de fer à son cou. Puis ce fut le tour de ses pieds, de ses bras, de son ventre… jusqu’à ce que sa nuque s’abandonne, et qu’un voile blanc se pose sur ses yeux. Une lumière cotonneuse explosa en mille éclats, avant de se dissoudre dans un noir parfait; le néant idéal.

Et puis, comme toujours, venait ce moment. Ce souffle inutile qu’elle aspirait, là où l’air n’existait plus. Un décor étiolé reprenait forme, se rassemblant pour devenir un foyer étrange.

Le foyer de quelqu’un qui n’existait pas vraiment. Et pourtant, elle s’y perdait en détails. Sur un marbre qui n’en était pas, baigné d’un éclat blanc semblable à mille soleils, Seluna avait recomposé un lieu que seule son imagination pouvait concevoir. Une église irréelle. Tandis qu’elle y prenait forme, son regard glissait sur les vitraux immenses et diaphanes qu’elle avait façonnés pour inonder sa création d’un jour sans fin.

L’entrée s’ouvrait sur une porte qui ne menait nulle part. La pierre blanche s’élevait en hauteurs que l’œil ne pouvait saisir, nimbées d’un voile d’or et de brume blanche ondulant joyeusement. Les fenêtres gothiques donnaient sur un ciel de lumière douce et éternelle. Sous ses pieds nus, un carrelage lisse était gravé d’or : des textes, par centaines, par milliers. Partout dans cette étrange maison s’écrivait un siècle d’histoire d’Ishgard. Cent ans d’événements, de souvenirs qu’il n’avait jamais pu vivre, ressentir ou comprendre, retranscrits depuis les livres que la Valsonge avait apportés dans ce monde chimérique. Pourtant, Seluna fuyait la stérilité. Elle avait imposé à ce simulacre de sacré une nature indomptée : des plantes d’un vert intense, ponctuées de fleurs incompatibles. Du plafond de nuages pendaient des lianes de jasmin aux effluves doux. Autour d’un vitrail prospérait un rosier dont les fleurs ne fanaient jamais.

Elle s’avança vers la nef, où, en lieu et place des blancs austères et sombres de la Sainte Cité, trônaient des assises garnies de coussins épais en velours crème, or et ivoire. Disposés en alcôves invitant à la méditation, puisque le sommeil ici n’avait plus d’emprise, ces espaces dégageaient une intimité chaleureuse, presque domestique. Certains accueillaient des jeux, en solitaire ou en duo. D’autres, envahis par cette végétation animée d’une volonté propre, semblaient échapper au contrôle des hommes, loin de l’ordre des cités.

Le transept et le chœur, visibles au bout de l’allée principale, étaient, quant à eux, consacrés à la magie de son invité. Il y baignait dans l’énergie redirigée par les cristaux d’un monde trop réel à son goût. Les vitraux y étaient plus vastes encore, traversés de glyphes solaires. Et dans les ailes des chapelles, dissimulés à droite et à gauche de la croix de pierre, d’immenses miroirs encadrés d’or massif renvoyaient chacun une vision différente. À droite, Nexacarnum et son marché, seules taches d’un noir hideux dans ce décor céleste. À gauche, le cœur battait sous la neige éternelle du Coerthas, vu à travers les yeux d’Akasha.

Ce jour-là, elle n’avait pas de raison particulière de venir voir Ragan. En vérité, cela faisait un moment que ses simples visites s’étaient intensifiées. La voix de Diana résonnait encore dans son esprit, ainsi que la douleur des mots qu’elle avait réveillés. Pourtant, le temps passait, et avec lui, ses efforts constants pour offrir une vie à ce qui n’en avait pas. Et ce désir, qu’elle tentait d’étouffer : celui de rester ici, elle aussi. Dans cet espace fait de lumière. Alors, se trouvant mille excuses, elle revenait. Encore. Et encore.

Elle allait jusqu’à changer son apparence. Il n’y avait plus de cernes sur ce visage épuisé. Plus de noir ni de rouge sur ses épaules. Plus d’argent à ses oreilles, ni de poids de lames sur son dos. Il n’y avait plus qu’elle, vêtue d’une robe qu’elle n’avait portée qu’une seule fois : une étrange toge, vestige du jour où elle avait bondi sur Mordred de Castellan, libérant contre les ténèbres une puissance d’une pureté qui encore lui échappait, qu’elle ne pouvait qu’imiter. Ses cheveux, libres comme elle aurait aimé l’être, flottaient sur ses épaules.

D’une foulée légère, elle rejoignit enfin la silhouette aux cheveux de jais, qui lui tournait le dos. Son visage glissa par-dessus son épaule, révélant une peau fraîche, et des iris désormais clairs, dénués de ce voile proche de la cataracte.
« Bonjour ! » lança la chasseuse, qui n’en était pas une ici, dans un sourire franc, ses yeux se fermant sous la sincérité de ce bonheur simple. Car c’était bien cela qu’elle éprouvait, dans ce monde qu’elle avait façonné : quelque chose d’étrangement proche du bonheur.

« …Alors ? Tu as choisi ton nom ? »
Seluna Valsonge Il y a 2 semaines et 1 jour


« Je ne peux pas encore perdre quelqu’un ! Je t’en prie ! Dis-moi qu’il existe un moyen… N’importe lequel ! »
La voix éthérée se réverbérait dans l’espace liminal, glissant le long des arches de l’église lumineuse, refuge depuis plusieurs lunes.

« Il n’y en a pas. Vos assauts contre les Portes ont déclenché une réaction en chaîne… La destruction est la seule Voie. »
Le mage parlait avec calme, posant un regard résigné sur la source d’énergie pure qu’ils avaient mis des lunes à préparer ensemble.

« Je t’en supplie… pas encore. »
Ses mains se refermaient sur le tissu vaporeux d’une toge qu’elle savait n’être qu’illusion.

« Je suis désolé, Séluna. C’est hors de notre portée. Tu peux rentrer chez toi… ou partir avec moi. Le choix t’appartient. »

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Le miroir qui donnait sur le marché vacillait sous les volutes d’éther instable qui inondaient la cité. Quatre silhouettes y progressaient à découvert, couvertes d’un sang noir et visqueux. On aurait dit qu’ils remontaient le Styx à contre-courant, déterminés à affronter une mort certaine. Chaque geste trahissait leur volonté farouche.

Le second miroir montrait la vision de l’un d’eux. Dans la course effrénée, on apercevait parfois le tranchant de la hache de Vaelrand ou une natte serpentine de la Vespérine. Séluna s’approcha lentement, mâchoire contractée, impuissante face à leur ascension périlleuse. Ses doigts se crispèrent sur le bord du miroir quand elle distingua le duel entre une morte-vivante et les chevaliers noirs, gardiens fanatiques de la Cité. La créature dissidente fut broyée par les gardiens dans une violence inouïe.

Elle vit aussi la fuite précipitée d’un groupe de nobles, les seules âmes, semblait-il, à échapper à la prière forcée d’Erythmion. Étaient-ils protégés par autre chose ? Une femme tenait une boîte entre les mains. La blanche s’attarda sur la scène, puis tourna les yeux vers Tyr. Leur silence formulait la même pensée : chaque problème en son temps.

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« … Tout sera détruit. La cité… Erythmion… cet endroit. »
Elle gémit en posant son front contre la surface lisse du miroir.

« C’est un sacrifice nécessaire. Un sacrifice que nous avons accepté… Ce sera simplement trop puissant, Séluna. »

La chasseresse ferma les yeux, inspira, puis recula. Le temps leur manquait. Le groupe réduisait la distance avec une rage implacable, une efficacité presque inhumaine.

« Je venais à peine de te retrouver. »
L’ironie lui noua la gorge alors qu’elle rejoignait Tyr, face à la sphère d’énergie blanche, bouillonnante, prête à être relâchée.

« Ce n’est pas tout à fait vrai. Tu as eu une seconde chance pour me dire adieu. Peu peuvent s’en vanter. »
La voix de Tyr était douce, comme toujours.

Séluna resta muette. Son cœur se serrait sous la cage de son torse. Il avait raison. Le marbre froid sous leurs pieds, les arches lumineuses, les vitraux déversant des faisceaux divins... Tout cela n’était qu’illusion. Un entre-deux. Une matrice entre la vie et la mort. Celle de Tyr. Peut-être la sienne aussi.

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Les voix étouffées des autres leur parvenaient à travers le miroir. Elle entendait Akasha et Isolde envisager le sort. Son souffle se suspendit. Isolde leur offrait encore quelques minutes en retenant l’incantation.

« Est-ce que… tu vas souffrir ? » murmura-t-elle, cherchant sa main.

« Non. Je ne pense pas. Ne t’en fais pas. »

Elle hocha lentement la tête, entrouvrit les lèvres. Tant de mots voulaient jaillir… mais aucun ne franchit le seuil. Elle voulait tout lui dire, mais plus rien ne semblait nécessaire.

Dans le silence, leurs mains immatérielles s’enlacèrent. Tyr lui lançait parfois un regard apaisé. Séluna, elle, doutait encore. Elle pouvait partir avec lui, cesser de perdre, cesser de voir souffrir ceux qu’elle aimait. La perspective était douce… et effrayante.

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Une voix fendit le calme : celle d’Isolde de Vespérine.

« Maintenant ! … Protégez Se—… »

Séluna écarquilla les yeux. La protéger ? Elle ?
Isolde s’adressait à Tyr, par le regard d’Akasha, pour lui confier sa survie. Jamais la chasseresse n’aurait cru que la vipère puisse s’inquiéter pour elle. Quelque chose s’éveilla alors en elle. Un éclair, un battement, un élan. Son cœur s’emballa.

Elle serra les doigts de Tyr. Ensemble, ils incantèrent.
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Au loin, au-delà des balustrades de marbre et d’or, Nexacarnum grondait. La cité maudite, autrefois inaccessible, leur faisait face. Le sort se déchaîna. Un bruit de verre brisé éclata dans l’air. Il était trop tard pour reculer.

Courbée en deux, Séluna sentit une chaleur ardente courir sur sa peau sans la blesser. C’était la sphère d’énergie qui s’activait. Un raz-de-marée de magie blanche prêt à engloutir la ville, gonflant comme une étoile en fin de vie. Sa vision fut submergée de lumière. Tout disparut : Tyr, elle, leurs créations.

Dans ce chaos primordial, les contours du monde fondaient. L’énergie accumulée s’élança vers le dôme noir.

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À mi-chemin, Séluna recouvra la vue.
Plus d’église. Plus de plantes. Plus d’écritures anciennes. Il ne restait rien. Son corps même se dissolvait. Bientôt, elle et Tyr ne seraient plus que conscience, flottant dans une poche d’éther.

La sphère éthérée, immense, dominait le vide comme un soleil en fusion. Puis, elle se tordit… se transforma… en une lance. Divine. Fulgurante. Elle fusa vers le cœur même de la matrice corrompue, provoquant une nouvelle onde d’énergie dévastatrice.

Tout se brisa.

Le travail sacrilège de Ragan fut pulvérisé. Le dôme noir se fissura, vomissant des langues d’éther démoniaque, foudroyé par des éclairs d’un blanc absolu. L’air vibrait. L’inévitable arrivait.

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Alors que tout tremblait, et que la matrice se repliait sur elle-même avant l’explosion finale, Séluna se tourna vers Tyr.

C’était la fin. La vraie. L’ultime.

Ses bras se refermèrent autour de lui, ou peut-être n’avaient-ils déjà plus de corps. Peut-être n’était-ce qu’un souvenir. Un geste gravé dans son cœur.

Et quand le souffle de l’explosion les atteignit enfin, elle comprit qu’elle avait déjà fait son choix. Que tout n’était qu’une question de temps.

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Puis, Séluna de Valsonge rouvrit les yeux, allongée au centre du cercle rituel, les membres engourdis par le froid du Coerthas.

« … C’est terminé », murmura-t-elle, les yeux aveuglés.

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