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[Augustine] Les vaincus n'ont pas de Tombe. Tome II - Garlemald

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Augustine Dudevent Il y a 5 jours et 52 minutes
À la paix, qui ne vient jamais assez tôt, et jamais sans coût.

Préface : Sous la cendre, un souffle


Écrire sur Garlemald n’est pas un geste de complaisance, ni de provocation. C’est une nécessité née du silence. Trop longtemps nous avons contemplé cet empire comme une forteresse étrangère, comme un bloc d’ennemis sans visage. Mais sous les pierres renversées et la cendre glacée, j’ai découvert autre chose : des hommes, des femmes, des enfants, dont la douleur ressemble à la nôtre, dont les larmes sont semblables à n'importe quelles autres.

Si j’ai choisi de recueillir ces voix, c’est pour rompre la distance qui persiste entre vainqueurs et vaincus. Entre ceux qui ont souffert ici et ceux qui souffrent là-bas. Je ne cherche ni à pardonner ni à condamner, mais simplement à comprendre, à écrire, et à transmettre. Car l’histoire, si elle ne se partage pas, prend le risque de se répéter.

Je suis entrée à la capitale Garlemaldaise comme on pénètre un tombeau. Avec lenteur. Avec crainte. Avec ce respect silencieux que l’on réserve aux lieux sacrés. Une escorte discrète m’accompagnait, à distance. Afin que je ne me perde pas. Pour pas que je subisse le moindre danger. Il n’y avait ni cris, ni bruits de bottes. Juste le crissement des pas dans la neige, et le vent qui semblait lui-même peiner à franchir les avenues fantômes. C’était une ville-monde. Aujourd'hui elle n’est plus qu’un murmure.

Je n’ai pas osé m’approcher. Pas des tunnels, pas des caves, pas des silhouettes qui parfois se devinaient derrière les soupiraux de fortune. Car je ne voulais pas que ma venue ressemble à une inspection, à une curiosité déplacée. Ces gens n’étaient pas à regarder. Ils étaient à laisser vivre, ou survivre, selon ce que les jours leur permettaient. Je ne suis restée qu’une passante, les mains dans mes gants, le col relevé jusqu’aux yeux, les mots prisonniers de ma gorge.

Autrefois, Garlemald régnait sur les cieux, les machines, les routes. Chaque pierre de ses avenues, chaque ligne de ses bâtiments avait été tracée dans un orgueil géométrique et une fierté toute impériale. Et pourtant, même dans la chute, il restait ici une forme de majesté. Des colonnes brisées qui semblaient rêver encore à la gloire. Des statues éclatées dont les visages, bien que fendus, scrutaient l’horizon avec une noblesse obstinée. Même les ruines étaient ordonnées. Comme si l’effondrement lui-même avait respecté la rigueur de leurs plans. Et partout la neige tombait comme un linceul. Une couche blanche, épaisse, qui unifiait tout. Les cendres, les gravats, les douleurs. Une paix trompeuse, mais presque belle.

Je me suis arrêtée dans ce qui fut un jardin d’enfants. Un de ces petits parcs comme on en trouve partout ailleurs, avec ses balançoires de fer tordues, ses toboggans devenus langues rouillés, et ce sol encore creusé des pas de jeux oubliés. Il n’y avait personne. Rien que le vent, obstiné, qui passait entre les barres métalliques avec un sifflement douloureusement humain. Et dans ce souffle, j’aurais juré entendre un rire. Léger, cristallin, presque moqueur à la manière un écho d’avant, venu se briser contre le silence d’aujourd’hui. Les enfants ne jouent plus ici. Il n’y en a plus. Ou plus assez. Ou plus assez vivants. Et c’est cela, plus que les ruines, plus que les soldats à genoux ou les slogans effacés, qui m’a fait ployer : ce vide précis, ce vide d’enfance, est une plaie qu’aucune paix ne viendra jamais refermer.

Je me suis arrêtée près d’une fontaine sèche. Elle était immense, faite pour chanter la puissance et le progrès. Aujourd’hui, elle n’était plus qu’une gorge muette. J’y ai vu, déposées en offrande, trois pommes gelées et une écharpe d’enfant. Quelqu’un avait cru bon d’y laisser un geste tendre. Pour qui, pour quoi ? Je crains ne pas avoir la réponse.

Et moi, au milieu de tout cela, je n’étais rien. Une voix qui se taira pour écrire. Une présence qui s’effacera des lieux. Mais ce jour-là, j’ai compris ce que jamais aucun traité, aucune missive, aucune statistique ne m’aurait appris : Que la douleur n’a pas de pays. Que la fierté peut survivre à l’humiliation. Et que les ruines parlent si l’on accepte de ne pas les interrompre.

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