[Lenore] Tome III - La Dernière Voix

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Lyssie Il y a 10 mois et 1 jour


Au lendemain des festivités de la Rose des Vents, on aurait pu s’attendre à ce qu’ils retardent leur départ d’une heure ou deux entre le réaménagement des jardins -redécoré à l’occasion du partenariat avec le Jardin de Nhaama- et le placement du matériel et des ressources dans la soute de l’Elysée, mais l’entrain des membres de la compagnie en cette belle matinée à l’aérodrome d’Ishgard était plus fort que ça. On entendait leurs chants se mêler à leurs rires, impatients de retrouver leur campement à Tuhei et partir à l’aventure sur les îles d’Ori, jusqu’à ce qu’ils croisent le regard froid et inflexible de la Grande Ordonnatrice marchant le long des pavés ishgardais pour rejoindre le pont de l’Elysée.
Sur la proue l’attendait Alexander, emmitouflé dans son gros manteau à fourrure blanche, niché dans les bras de son père qui, à l’occasion, s’était vêtit du long manteau noir aux chaînes argentées qu’elle lui avait offert la veille. A la vue de sa mère, Alexander troqua son impassibilité pour un regard plus grand, tendant les bras vers elle dans l’espoir qu’elle le remarque. Hélas pour lui, elle s’arrêta à côté, son regard pointant vers la même direction que son époux ; les cimes des montagnes du Coerthas.

A bien des égards, le silence pesant ne pouvait essuyer la rancune qu’elle lui portait. Elle revoyait encore son manque de diplomatie flagrante, jusqu’à insulter leurs invités sous couverture qu’il était un uldien et qu’il était, par conséquent, exempté de toute faute. Foutaises et balivernes, il en jouait.
"Sommes-nous toujours sur les mêmes positions depuis le dernier repas ?
- A moins que vous ne me prouviez le contraire, oui."

La tension rendait nerveux Alexander qui, observant ses deux parents aussi froid que lui, s'agitait de plus en plus. Heureusement, les bras costauds de son père empêchait le louveteau tout mauvais mouvement. Lenore entendit son époux soupirer, lui rappelant sa fâcheuse manie d'exprimer son mécontentement lorsque lui-même s'avouait être dans le tort.
"Dites-moi ce que j'ai fait de mal lors de cette soirée, avec nos invités.
- Vous n'êtes pas connu pour votre diplomatie et pourtant, vous tentez toujours, inlassablement, d'entrer sur ce terrain, qu'importe les dégâts que vous pouvez causer. Vous n'auriez pas dû les insulter sur les valeurs qu'ils prônent.
- Et si leurs valeurs insultaient les miennes ?
- Vous n'êtes pas un bâtard.
- Non, mais je suis uldien."

Aucun regard ne pouvait être plus froid que cela de la Dame lorsqu'elle pose ses pupilles translucide sur Derek qui tentait bien que mal de garder la face. Ils étaient tous les deux des alphas, et il avait souvent le dernier mot lorsqu'ils se disputaient, mais s'il y avait bien un sujet auquel elle avait toujours raison, c'était bien celui des Riverhood et la réputation qu'elle endossait à Ishgard.
"Vous êtes ishgardais et vous vous faites justice de gens qui ne sont pas vôtres, en ternissant l'image de notre famille.
- Et qu'aurais-je dû faire, selon vous ? Ne rien dire alors que je partage pas leur avis sur la pureté du sang ? Ils sont arriérés et racistes, leur maison, avec une telle volonté, court à sa perte !"

Cela avait eu le mérite de découvrir un léger souffle des lèvres de la Dame qui plaça finalement son attention droit devant elle. Elle ne voulait pas se battre, ni même se donner en spectacle face à ses hommes, encore moins devant Alexander.
"Je ne condamne pas le fond. Je condamne la forme."
Et le silence fut. Le vent balaya sa chevelure et la cape de son époux, tandis qu'une main protectrice voila la tête de leur enfant. Dans pas moins de deux heures, ils allaient se quitter pour un mois tout au plus et peut-être qu'ils ne se reverront que plus tard si jamais l'apocalypse devait survenir à ce moment-là. Cette simple pensée glaça le sang de l'Ordonnatrice autant que celui de l'Aigle d'Or. Ce dernier soupira une dernière fois avant de se tourner vers son épouse. Il inclina la tête et parla soudainement d'un ton plus doux qu'à l'accoutumé.
"Je suis désolé. J'ai encore beaucoup à apprendre dans ce milieu, et je déteste que l'on s'en remette au sang au lieu du mérite, mais... Oui, je n'aurais pas dû."
Les excuses de Derek avaient eu le mérite d'accaparer l'attention de sa femme, toujours froide, toujours aux antipodes de celle qu'elle fut autrefois, et pourtant, elle lui avait fait face pour, à la fois lui caresser la joue, comme donner son autre main à Alexander qui semblait en avoir marre d'être exclu de la conversation. A son âge, il commençait déjà à être autoritaire malgré une absence d'émotion flagrante...
"Contentez-vous de faire ce que vous savez faire de mieux : sourire avec toute l'arrogance et la supériorité dont vous avez le secret. Gardez cette image d'un homme impénétrable, gardant son venin pour ceux qui le méritent."
Lenore avait toujours su amuser son époux et l'image qu'elle venait de dépeindre à son égard en était l'une des raisons. Il se rapprocha d'elle pour la prendre dans ses bras, avec le fils entre eux. Cette main possessive sur son cou était un message, une inquiétude pudique qu'il n'aimait pas montrer au grand public. Ils parlèrent à voix basse, loin des oreilles indiscrètes. Tout comme elle, il craignait de ne plus la revoir avant très longtemps. Mais ils avaient finalement trouvé un moyen de toujours garder contact, comme un rituel rien qu'à eux qu'ils respectaient envers et contre tous.
Hélas, rien ne pouvait entraver l'amusement des Douze envers leur Messagère et celui qui partageait sa vie depuis désormais plus d'un an.
"...Je suis enceinte."




L’horizon était magnifique, dessiné par les courbes des nombreux cumulus emmagasinés en ce début de journée prometteur. Il faisait ressortir le bleu d’un ciel clair, le rose pastel annonciateur d’une journée ensoleillé et surtout, accompagnait le ballet des oiseaux venus voler autour de l’Elysée. En contrebas, les dauphins et autres créatures aquatiques suivaient leur trajectoire tout en sautillant gaiement, enchantant le regard émerveillé d'Anaëlle qui se tenait non loin de sa Maîtresse, tout comme Revna qui menait à bien son nouveau travail de garde du corps. Il fallait qu'elle l'annonce à sa suivante et à son époux un jour ou l'autre, mais pour le moment...

Une longue aventure l'attendait.
Lyssie Il y a 10 mois et 1 jour


Les Pihariiens ne leur avaient pas menti sur la dangerosité de terres de Hurali, mais là où elle s'attendait à être accueillie par un peuple hostile, là où elle s'attendait à devoir faire preuve de diplomatie et de tact, rien n'aurait pu la préparer à une telle bestialité. Ils avaient trouvé refuge sur ce ridicule bout de roche, pensant que le sable allait les engloutir quand les secousses étaient de plus en plus fort, balayant le sable telles des vagues de poudre ambré juste devant eux. Quelque chose approchait, inexorablement attiré par l'éther que produisaient certains, croyant bien faire.
La dernière secousse fit trembler le rocher entier. Il était là, juste devant eux, sous le sable.
"IMPACT !"
La voix de Lenore, soudainement amplifiée, résonna jusqu'aux oreilles de tout le monde et du sable jaillit un immense ver à mille dents acérées qui formaient une sorte de spirale bien mortelle. Il devait faire dans les cinquantes yalms à vue d'oeil, sa peau rugueuse reflétait le safran du sable et son cri faisait trembler la terre d'une sinistre chanson, de quoi destabiliser même les plus téméraires. Alors qu'il alla écraser sa gueule contre la roche dans l'espoir d'emporter avec lui quelques proies, il ne fallut pas plus de temps à Dorian pour réagir, celui-ci se jeta sur elle pour la pousser avant même que la bête ne la touche. Avec lui, Revna et Yuan furent enlevés au même titre qu'Aiko. Il fallait réagir et vite, le ver commençait à repartir dans la mer de sable.
"AGRIPPEZ-VOUS TOUS ET SORTONS LES AUTRES DE SA GUEULE !
- J'ai c'qu'il faut, m'dame !"
répondit aussitôt B'rume, pleine de surprises.
Sa chaîne se planta dans le corps de la bestiole et comme un relais, tout le monde courut à en perdre le souffle pour rejoindre les uns après les autres le dos de la créature des sables. Le vent chaud jouait contre eux, le soleil tapait fort, ni la vitesse, ni leurs vêtements suffisaient à combattre cette forte chaleur. Mais tout d'abord...ils devaient tout faire pour extirper les autres de l'emprise du grand ver géant.

Premièrement, il fallait que tout le monde se stabilise. La rapidité à laquelle allait ce monstre était démentielle, et certains n'avaient pas su se tenir parfaitement, jusqu'à glisser plus loin dans son dos, comme la jeune Sofia qui était à deux doigts de lâcher prise la peau rugueuse de la bête, ses pieds baignant dans la mer de sable. Karasu et Ruuj furent les premières à utiliser leur corde pour se maintenir convenablement vers la mâchoire, suivies de près par Lenore qui maudissait, pour la toute première fois de sa vie, ses origines ishgardaises.
Elle se sentait faible et inexpérimentée, elle n'était pas chez elle ici et le territoire était bien plus hostile qu'elle l'avait imaginée. Néanmoins, bien qu'elle pouvait au moins remercier l'entraînement des tengus et d'Aiko qui avaient su forger sa force physique, l'adrénaline était son énergie la plus pure et véritable, il n'y avait rien d'autres qui pouvaient la pousser à se surpasser. Hélas, les secousses étaient de plus en plus fortes, ce rodéo improvisé aurait bientôt raison d'elle. Ruuj et Karasu s'activaient comme jamais, là où l'Ordonnatrice glissa soudainement en arrière, emportant avec elle la raenne et poussant la viéra droit dans la gueule de la bête. Ils avaient su sauver Aiko au prix de Ruuj...ainsi que de trois autres vies.
"MERDE ! Les filles !"
Lenore tomba de la créature avec Karasu et Sofia à une vitesse folle, sous le regard mortifié de Balian et de Victor qui se décidèrent à sauter de la bête pour les rejoindre. Il fallait désormais espérer que les autres puissent sauver ceux coincées dans la gueule du ver...au moins.




Le sable ici n'avait pas de fin. Vaste, unicolore et brûlant. Une fois les pieds dedans, il était impossible d'en ressortir vivant, à la merci des bêtes dangereuses et de la chaleur torride d'un soleil sans pitié. A moitié ensevelie sous le sable chaud, Lenore se réveillait petit à petit d'une douloureuse chute, regrettant son cher pays neigeux et ses températures basses à cet instant précis. Elle sentait ses lèvres et sa gorge sèches tout comme sa peau qui avait fini par brûler sous le soleil ; qu'importe les heures qui s'étaient écoulées entre la chute à son réveil, si elle ne réagissait pas tout de suite, il en serait fini d'elle.
"Dame de Riverhood !" s'écria une voix grave au loin, une voix qu'elle connaissait bien.
Le visage flou de Balian la surplomba, dissimulant les rayons meutriés du soleil. Pour une fois, le chevalier ne dissimulait pas sa frayeur et lui-même était parsemé de sable, synonyme d'une longue chute du dos de ce ver. D'un regard à sa gauche, Lenore constata la présence de Sofia, elle aussi marquée autant par la chute que le soleil. Curieusement, cette simple vision suffit à lui donner la force de se redresser.

Il fallait à tout prix retrouver Karasu et Victor et se mettre à l'abri des vers. Elle réfléchirait à leur sauvetage plus tard, espérant, dans le fond, qu'on viendrait les chercher. Elle n'avait pas le choix, elle devait s'en remettre aux siens, où qu'ils puissent être.




"ARRÊTEZ LA MAGIE !"
La voix déchirante de Victor, qui sortait encore dans les vapes de leur petit refuge dans le renfoncement de la montagne à porté de main, lui fit réaliser les conséquences de ses actes. Plus loin dans le nord-est, l'on pouvait voir des vagues de sable marquées le rythme effrené d'un ver qui avait ressenti l'éther produit par Karasu et Balian, ceux-là même perchés sur un modeste promontoire rocheux plus haut. Pas de temps à perdre, celui-ci pressait déjà bien assez et elle se maudirait plus tard. Pour l'heure, il fallait grimper.

La cadence des secousses s'accélérait graduellement et battait la mesure du coeur de l'Ordonnatrice. L'adrénaline, il n'y avait rien de mieux que l'adrénaline comme ressource inépuisable, cette désagréable, mais fort accomodable, sensation qui donnait une force surhumaine à quiconque en était sensible. C'était ce qu'elle se disait quand elle se trouvait presque au sommet de la montagne, remerciant au fond d'elle l'entraînement des tengus et d'Aiko. Son visage s'éclairait de plus en plus, reflétant les tentatives magiques de l'apprentie mage rouge et du chevalier noir que de dévier la bête plus loin. Hélas... Cela ne fit que l'attirer davantage, faisant tellement trembler la terre et la roche que sous les yeux de Victor, l'Ordonnatrice chuta tout en bas.
"NON, LENORE !"
Essouflée, elle souffrait de la fatigue qu'ils avaient dû subir plus tôt dans le désert, mais il lui en fallait plus pour se laisser abattre. Ce ver ne l'aurait pas vivante, jamais, tant qu'elle serait la Messagère des Dieux. Soudainement, ces derniers répondirent à sa détresse quand au loin, quatre grands volatiles fusèrent sur eux avec sur leur dos, des hommes voilés et armés. Leur accent, vraisemblablement atypique de la région, était étouffé sous leur turban.
"MONTEZ !"
Lenore fit monter tout d'abord Sofia à bout de force, s'assurant d'un regard attentif que les autres plus haut suivent. Victor monta à son tour sur le dos du grand oiseau, et elle en fit de même sans plus tarder. Alors qu'ils prirent leur envol et qu'ils foncèrent droit sur le mur de sable dressé par le ver et ses remous, on n'y voyait pas à plus de dix yalms tout au plus. Lenore était coutumière de l'équitation et ce voyage à dos de volatile n'était qu'un tour de plus dans les airs, ainsi elle s'agrippa fortement avec Sofia dans ses bras lorsque leur sauveur inconnu dévia soudainement leur trajectoire pour éviter de peu l'apparition des crocs du ver géant...
Ils étaient désormais en sécurité, dans les airs, loin de la menace des vers du désert de Hurali.

Ils passèrent de longues minutes à faire le vol. Le soleil n'était plus et contrairement à ce qu'on pouvait penser, la chaleur n'avait pas été troqué par un froid mordant. Le déséquilibre éthéré, ainsi que son rapport à un éther de feu, faisaint de Hurali une île où il y faisait extrêmement chaud nuit et jour. Bien sûr, l'absence de soleil diminait les températures, mais de bien peu.
Cette nuit-là, les étoiles défilaient sans qu'aucun nuage ne lui coupe la vue et en amorçant leur descente jusqu'à une petite oasis, son regard se troubla petit à petit. Ils étaient enfin arrivés, non loin de l'Elysée qui trônait plus loin et les siens se ruant vers eux. Elle pouvait enfin lâcher prise, elle pouvait enfin dormir.

Bienvenue à Hurali, qu'ils disaient.
Ca sera marrant, qu'ils disaient.
Lyssie Il y a 10 mois et 1 jour


La Coupe, une journée comme une autre. A l’heure où les ventres criaient famine et où le ciel revêtit ses couleurs nocturnes, dans la Rose des Vents résonnaient les rires et les conversations des clients qui écoutaient le récit passionnant -quoi qu’un peu surjoué- du chef de salle Belmont qui avait repris sa place depuis qu’ils étaient rentrés. Quand Mhako Ta’ali, une nouvelle recrue qui avait sagement patienté leur retour, quitta le bureau de l’Ordonnatrice le sourire aux lèvres, Lenore expira un profond soupir.
"Enfin un peu de calme…"
Du sang de dodo gisait encore sur le pas de sa porte, elle réglerait bientôt cette histoire avec Nihra qui avait honteusement interrompu l’entretien dans le seul but de demander la permission de prendre quelques confiseries… De jour en jour, l’affluence de la clientèle s’accroissait, les chamailleries et éclats de voix des siens animaient l’auberge et les derniers recrutements ainsi que l’alliance avec la famille Chanthiver ressemblaient à une vie de tous les jours. C’était comme s’ils n’étaient jamais partis, tout était on ne peut plus normal, voire banal.
Sur son bureau trônaient les copies des rapports sur l’Archipel d’Ori, les vrais étaient partis avec Brienne pour Sharlayan dans l’espoir d’obtenir ce pourquoi ils avaient travaillé d’arrache-pied depuis de nombreuses lunes aujourd’hui. Tout le monde, tous autant qu’elle, peinait à croire à l’échec de cette demande de passe-droit, si bien que même sa suivante vantait ses mérites. Pas moins d’une cinquantaine de dossiers bouclés, un archipel réunifié et une alliance avec le Roi de ces îles à la clef, tout ça, sans verser la moindre goutte de sang – Sharlayan allait sans nul doute honorer ce parcours sans faute. Cette victoire, ils la méritaient.
A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Vingt heures tapantes, Lenore quitta la Rose, sa veste tout juste posée sur les épaules. Elle entendait encore le brouhaha de l’auberge retentir même en dehors de l’établissement, s’en venait même jusqu’aux jardins où elle se faufila entre la foule venue profiter de la nouvelle décoration de la Fête des Etoiles. Il n’était plus qu’une question de temps avant qu’elle ne retourne sur scène, faudrait-il simplement qu’elle sache conjuguer son temps à la Rose avec sa vocation. Pour l’instant, elle avait mari et enfant à retrouver – une lune, une lune entière sans les voir. Il fallait qu’elle se dépêche avant de retrouver sa villégiature sans dessus-dessous, tout ça car Derek n’aura pas trouvé la tétine préférée d’Alexander coincée sous l’étagère principale.
Au détour d’un carrefour, juste avant une petite éthérite, la hyuroise s’arrêta pour observer au loin l’établissement sur son promontoire, l’ombres des clients et des siens chantant et dansant pour fêter leur victoire ainsi que leur retour. Elle croyait dur comme fer qu’un beau jour la Rose des Vents allaient devenir une arche pour tous les naufragés de cette apocalypse, comme elle l’avait dit à Mhako plus tôt. A ce moment-là, elle tendrait la main vers les plus nécessiteux, plus que jamais.




Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait pas posé son regard sur l’immensité de la mer depuis les sommets de Brumée. L’air plus frais et sec apaisait son teint pâle comme ses cheveux, mais pas encore assez pour redonner de leur superbe. Néanmoins, une averse s’abattit entre deux éclaircies quand la voix d’Anaëlle vint troubler la maigre pause que s’octroyait sa Maîtresse, protégée de son parapluie.
"C'est un angle peu commun pour observer la mer de Brumée.
- Du haut de ce promontoire, je peux davantage le contempler."

Elles discutèrent brièvement du prochain concert qu’aimerait organiser Anaëlle à Azurée, en passant par le récital annuel de Lady Lenore en l’honneur de la Fête des Etoiles prochaine. Banale, il n’y avait rien de plus adéquat pour décrire cette conversation qui rappelait à Lenore qu’elle était bien revenue à la maison, quand bien même son attention était ailleurs par-delà les mers. Il lui semblait être la seule à ne jamais réellement souffler tant qu’elle n’avait pas la main sur l’objet de ses convoitises.
Pourtant, c’était bien à la mention de Sharlayan que sa dame de compagnie se ravisa, les épaules lourdes d’une responsabilité qu’elle subirait bientôt.
"Alors, à ce propos… Si je suis venue jusqu’à vous, c’est car j’ai reçu une missive avec le cachet de Sharlayan."
Son sang ne fit qu’un tour. Brienne avait donc bien tenue sa parole… Ne lui restait qu’à connaître le verdict qu’elle attendait depuis pas moins d’une semaine après le départ de leur alliée pour la Cité des Sages, le cœur serré, la gorge presque nouée. Sans plus attendre, Lenore récupéra le fruit de son travail avec un trouble dans sa délicatesse, trahissant son impatience. Son regard sévère fixa celui de sa suivante, semblant sur des charbons ardents.
"Convoque autant de monde que tu le peux. Je vais la lire à haute voix devant tout le monde."




La tension était à son comble. Certains assis tout autour de la grande table au cœur de la salle de réunion là où d’autres devaient rester debout par manque de place -il faut dire qu’ils avaient doublé en nombre depuis leur départ-, ils attendaient tous de pied ferme cette réponse tant recherchée depuis l’ouverture de la Rose des Vents, c’était leur unique chance de pouvoir passer à peu près une bonne journée suite à l’annonce de l’enlèvement de Sofia. Lenore était assise en bout de table dans son grand fauteuil en cuir comme à son habitude, ouvrant l’enveloppe à l’aide d’un coupe-papier. Elle sentait les regards insistants se poser sur elle, c’était aussi grisant que stressant.
Puis, la voix claire, elle lut de vive voix le contenu de la lettre, sans s’interrompre, sans fourcher.



Madame la Directrice,
Par la présente, j’ai l’honneur de porter à votre connaissance les faits suivants :
Le Conglomérat des Affaires Étrangères vous informe que le dossier traitant de l’Archipel d’Ori a bien été reçu par madame Paselle.

Considérant l’application et la sagacité des résultats présentés, le consulat témoigne son intérêt pour ces derniers. La résolution pacifique du conflit a su intriguer et solliciter notre considération.
Il semble que, compte tenu du contexte, une intervention de votre part soit ainsi nécessaire.  C’est pour cette raison que le consulat vous enjoint à faire démonstration de vos recherches en vue de répondre aux interrogations et intérêts que nous portons au dit sujet.

Conséquemment, il vous sera demandé de vous rendre à la Vieille Sharlayan, ce 7ème soleil de la Lune d’Althyk, pour votre audience qui se tiendra en date du 14.

En vous exprimant à l’avance ma plus vive gratitude, je vous prie de croire, Madame la Directrice, en l’assurance de ma haute considération.

Irvoix Veaurier
Magistrat de Sharlayan


Elle n’en croyait pas ses yeux. Le fruit de son travail avait enfin payé, on l’avait bel et bien invitée à joindre ce pays aussi fermé qu’une huître ; la Rose des Vents ainsi que ses composants avaient capté l’intérêt de ces grands élézens qui ne voyaient qu’eux, seulement eux. Les premiers commentaires des siens la ramenèrent sur terre, elle pouvait observer chaque sourire orner leur visage, ils virent là une victoire durement méritée, et à juste titre. Lenore elle-même se surprit à esquisser un bref sourire avant de redevenir aussi froide que de la glace bien qu’il ne passa pas inaperçu aux yeux de Dorian, lui-même béat. Ce qui sonnait comme la fin d’une aventure n’était en réalité que le début d’un long périple, et elle ne le savait que trop bien.
"Calmez-vous, ce n’est pas fini."
Bien vite, les éclats de voix cessèrent pour laisser place à la suite des opérations. A les regarder, on aurait dit qu’ils feraient n’importe quoi pour elle, faisant écho aux mots de messire Chanthiver couplés aux inquiétudes de sa dame de compagnie ; sans être des fanatiques, ils la suivraient jusqu’au bout du monde, quoi qu’elle en dise. Ce n’était que maintenant qu’elle s’en rendait véritablement compte.
"Bien que nous partirons tous pour Sharlayan, il faut encore que je compose un corps diplomatique qui m’accompagnera à cette soutenance devant ces éminences sharlayanaises.
- Votre Grâce, je pourrais y participer, fit doucement Dorian.
- Moi aussi ! s’écria une autre voix plus loin.
- Roh mais, laisse-la tranquille ! Elle a dit qu’elle ferait son choix toute seule." réprima B’rume, secouant la tête.
Elle les laissa discuter longuement sans qu’elle ne les interrompt. De toute évidence, cette soutenance requérait les personnes les plus aptes à parler de l’Archipel d’Ori et pour certains, c’était déjà tout vu. Lenore, quant à elle, resta sur la réserve. Elle avait besoin d’un peu de repos, elle n’avait fait qu’enchaîner depuis qu’ils étaient revenus. Doucement, elle plaça une main sur le bas de son ventre, le bébé devrait être sa priorité. Sous la table, elle sentit une brève petite tape du pied de son époux. Cela lui coûtait presque de l’avouer, mais ses petites attentions particulières et bien à lui lui avaient manqué. Lorsque leurs regards se croisèrent, c’était comme si tout ralentissait autour d’eux. Ainsi, elle sut.
Ils avaient besoin de se retrouver.




"Cela m'avait manqué de pouvoir vous contempler ainsi. Une lune semble étrangement longue avec une linkperle en tout et pour tout.
- Que ce soient vos bras, votre voix et vous essence, vous m’aviez tout autant manquée."

A ses mots, elle sentit les bras musclés de son époux presser son corps contre le sien comme s’il craignait de la voir partir de nouveau, alors qu’ils profitèrent des sources d’eau chaude d’Azurée sous les rayons de la Lune. Ces longues semaines sans se voir avaient eu le mérite de lui rappeler ô combien il comptait pour elle malgré ce qu’elle pouvait démontrer en extérieur. Sa force, son odeur jusqu’à sa chaleur ; tout lui semblait intacte mais persistait ce goût-amer du manque. Derek était le seul à qui elle pouvait se jeter corps et âme sans jamais avoir peur de tomber, ainsi était-ce peut-être ce sentiment qui lui manquait le plus.
Ils discutèrent longuement de son voyage sur l’archipel d’Ori, de ce qu’elle avait aimé et moins aimé, le tout dans une insouciance dont elle avait perdu l’habitude. A ses yeux, il restait encore beaucoup à faire, beaucoup à préparer. Alexander allait sur sa onzième lune, à peine bambin et il faisait déjà preuve d’un mental d’acier. Le cadeau de messire Chanthiver fait plus tôt dans la soirée serait encore sujet à discussion pour l’avenir de leur fils, mais ils avaient encore le temps. Pour le moment, demeuraient cette apocalypse et ses nombreuses péripéties à la clef qu’ils ne devront pas sous-estimer, pas alors que Lenore était de nouveau enceinte. Cela compliquait les choses…mais ils l’avaient voulu.
"Viendriez-vous avec nous à Sharlayan ?
- Je vous ai laissé partir une fois sans moi…

Son emprise se fit plus forte et sa voix plus profonde ; elle ferma les yeux, les joues rougissantes.
- Je ne vous laisserai pas vous éloigner de ma vue une seconde fois."
Sous les flocons tombant sur le quartier d’Azurée, un couple caché loin des regards indiscrets se prélassait dans une eau moins chaude qu’elle en donnait l’impression. La flamme qui habitait le regard de l’Aigle était tout aussi fort et puissant que le cristal qui s’embrasait dans ses bras. Soudainement, les cloches sonnèrent, indiquant minuit, lorsque leurs lèvres se touchèrent enfin. Ce soir-là, elle ne pensa plus à rien, s’abandonnant totalement dans les griffes acérées de son amant et époux pour une nuit où ils oubliaient tout, jusqu’à leurs responsabilités. Une nuit seulement.
Au loin vers l’Est, la tour de l’apocalypse à Dravania vibrait d’un éther corrompu et malfaisant. Il n’était plus qu’une question de jours avant que la catastrophe ne les frappe et qu’une calamité se déverse sur le monde. A ce moment, elle serait prête, soutenue par les siens et son mari. Ne l’attendait plus qu’un premier d’une longue série de voyages…

Tout droit en direction de Sharlayan.





La Dernière Voix
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