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[Lenore] Tome V - L'Éveil du Cristal

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Lyssie Il y a 2 jours et 12 heures

Ajustant le collier frontal où brillaient les rayons du soleil déjà haut, Lenore observait son reflet dans le grand miroir de son boudoir. Boucles d’oreilles assorties, décolleté plongeant, corset serré jusqu’à l’étouffement, robe cintrée, cheveux tirés et maquillage raffiné, tout avait été calculé avec soin jusque dans les moindres détails pour donner l’image d’une femme que rien n’effraie. Dans quelques heures, elle serait assise face au juge Bertrand Matignon. Si elle avait pu admettre ses craintes à sa délégation, jamais elle ne laisserait transparaître la moindre faiblesse en public. Il en allait de sa réputation... mais surtout du contrôle qui la mènerait à la victoire.
"Mmmh... Mama part ?"
La petite tête blonde de Victoria passa par l'entrebâillement de la porte avant qu'elle ne s'élance dans la pièce toujours baignée par la lueur des bougies. Elle avait sans doute observé sa mère depuis un moment déjà, suivie d'Alexandre qui tenait Léon dans ses bras sous l’œil attentif de la vieille Clothilde.
"Ma petite princesse, Victoria, tu ne fais pas encore la sieste ?
- ... Na."

Les mains de Lenore quittèrent le pli de sa robe pour enlacer la taille de sa fille, un sourire espiègle accroché au coin des lèvres. L'enfant savait qu'elle défiait l'autorité de sa mère, pour autant celle-ci, loin de sévir, lui offrit une douce étreinte. C'était inhabituel, et Alexandre l'avait bien remarqué. Il pénètra à son tour dans le boudoir, blottissant son petit frère contre lui, le regard sévère.
"Il y a encore un méchant ? demanda-t-il sans détour.
- Le Gévaudan est en proie aux rapaces. Maman va aller défendre ses terres, et elle ne sera pas seule.
- Maman va se battre ?!"

Victoria redressa la tête, les yeux brillants d’admiration au point d’arracher à sa mère un discret rire intérieur.
"Oui, mais par les mots, pas par la lame. On m'attend au tribunal en fin de journée, mais cela ne durera que quelques heures à peine. Je rentrerai avec Ser Lancelin.
- Le nouveau chevalier blanc..."
Comme un feu qui se propage, l'admiration de Victoria gagna son frère dont le regard pétilla avec autant d'ardeur que celui de sa soeur. Il avait déjà aperçu Lancelin, de loin, lors de son adoubement. A chaque cérémonie de ce genre, le jeune garçon devenait la petite terreur du manoir, suppliant qu'on le laisse assister à la scène. Plus d'une fois son obstination avait attendri l'assemblée. "Un vrai Riverhood", disaient souvent certains, alors qu'il approchaint doucement de ses cinq ans.
"Je viendrais vous voir dès que j'en aurais fini, d'accord ?
- Oui, mama."

La main de Lenore glissa tendrement dans les cheveux de sa fille, désormais bien plus longs qu’avant. Rassuré, Alexandre se contenta de hocher la tête avant que Lenore ne lui prenne Léon des bras pour le cajoler une dernière fois. Les autres mères auraient été horrifiées de la voir parler sans filtre devant son fils, mais elle, en était fière. Un jour, il prendrait sa place, et elle voulait déjà lui parler avec la maturité d’un adulte. Avec un fief comme le Gévaudan, il aurait été insensé d’embellir les horreurs qu’elle voyait chaque jour.
Un dernier baiser sur le front de son fils, puis elle le confia à Clothilde avant de quitter le manoir. Dehors l’attendaient Elric, Midra, Zael et Lancelin. Le Tribunal du Saint-Office n'attendaient plus qu'eux.


"Un coup monté ?! Vous n'avez donc aucun argument ?!"
Indignée, Amandine avait élevé la voix depuis l’autre bout de la pièce où se tenaient Lenore et Zael. Étonnamment, l’audience se déroulait à huis clos à la demande de l’opposition. Officiellement, il s’agissait d’éviter de trop exposer ce "différend entre voisins". Officieusement, ils auraient pourtant eu tout à gagner à décrédibiliser la vicomtesse en public.
Lenore avait réfuté une à une toutes les accusations portées contre elle et contre le Gévaudan. De l'incapacité à contenir la menace du néant sur ses terres à la création de portails du néant aux portes des frontières Sévillon pour les attaquer et ravager leurs villages, tout avait été nié en bloc. Et pour cause, au-delà d’être mensongères, ces affirmations ne tenaient pas debout. Les runes clandestines avaient été découvertes loin du fortin de Portelune, les habitants n’avaient vu aucun démon depuis près d’un an, et il semblait pour le moins curieux que madame de Sévillon sache précisément de quoi il retournait... avec de simples jumelles. Pour peu qu’elle fût investie et passionnée dans sa narration, elle avait des allures de femme à qui l’on avait tout donné sans jamais expliquer ce qu’elle récitait.
"Votre Honneur.
- Je vous présente des reproductions, et vous arrivez déjà à les identifier. Je vous l'ai dit. Je ne sais pas ce qu'elles veulent dire. En revanche, elles ont été vues chez vous, et les dégats, eux, viennent chez moi. C'est ce que diront les Riverhood aux familles des victimes ? Que je diffame ? Alors que vous attestez de la présence de ces runes ? Que vous envoyez vos minions tenter de me manipuler en pleine procédure ?!
- Madame de Sévillon, je vous prie de laisser finir la vicomtesse."

Le juge Matignon fit claquer son marteau contre le bois, ramenant le silence dans l’audience. À bien des égards, il déjouait les attentes. La clairvoyance qu’on lui prêtait aurait pu lui monter à la tête, pourtant il demeurait mesuré, attentif, presque bienveillant avec les deux parties. Pas une seule fois il ne se montra hostile, même lorsque Zael prit la parole pour tenter une nouvelle approche. Et pourtant... quelque chose clochait. Dans le creux de son ventre, Lenore sentait que rien de tout cela ne rimait à rien.




"Je vous remercie, Ser Lancelin. Nous nous reverrons demain.
- Reposez-vous bien, madame."

Une fois Lancelin parti, Lenore s'affaissa dans un long soupir sur le canapé de ses appartements où l'attendait sa chemise de nuit soigneusement déposée plus tôt par la jeune Adelaine. Le verdict tomberait dans quelques jours à peine, mais elle n'en espérait rien de bon. Elric partageait son avis : leur défense était maigre, faute de temps pour rassembler les preuves nécessaires. Une audience prise en traître... mais au moins, ils savaient désormais à qui ils avaient affaire. Amandine n’était sans doute qu’un pion de machinations plus vastes de Main d’Or. Main d’Or... Elle leur en parlerait dans les jours à venir. Elle le devait.
"Mama ! T'es rentrée !"


Les jours passèrent, et pas un ne s’écoula sans que le verdict ne lui revienne en tête, assise derrière son bureau du manoir, le regard tourné vers la fenêtre donnant sur les ruelles pavées des Contreforts. Spéculer maintenant ne servirait à rien, ce pourquoi elle avait demandé au reste de la délégation d'attendre sagement le jour du verdict qui vint finalement bien assez tôt. Au petit matin d’une journée claire, après avoir embrassé ses enfants, Lenore quitta la demeure Riverhood, la fourrure sur les épaules. Elle n’avait pas encore franchi le grand portail qu’un appel linkperle la stoppa net.

"Mes hommages, madame la vicomtesse. C'est Royenhardt, je ne vous dérange pas j'espère ?"
La voix du chevalier blanc la rassura plus qu’elle ne voulut l'admettre. Depuis le malencontreux épisode du bouquet d’aconit tue-loup, l’homme semblait avoir retrouvé un peu de sa vivacité, juste assez pour qu’elle ne songe pas à le réprimander. Pour autant, sa joie fut de courte durée lorsqu'il lui annonça de funestes augures.
"Avez-vous entendu parler des prédictions des astromanciennes de la Tour, madame ?
- ... Non ? Devrais-je ?
- Je crains que Main d'Or soit derrière votre procès, de près ou de loin, et qu'il tire les ficelles pour vous mettre hors-jeu. Pire encore, je pense que... la décision de justice est déjà scellée, et je crains qu'elle ne soit pas en votre faveur."

Le ton grave du chevalier ne laissait aucune place au doute. Si Lenore venait d'avoir la confirmation à ses soupçons, elle n'était pas prête à entendre la suite.
"Dans la prédiction, il est dit que la mère de Gévaudan, impuissante, serait contrainte de voir ses enfants affronter l'Or. Je pense que la prédiction implique que vous allez forcément perdre au procès, et être incarcérée. Main d'Or veut vous éloigner de Gévaudan."

La simple possibilité de se retrouver derrière les barreaux fit tiquer Lenore qui se figea. Le pire qu'elle avait imaginé jusqu'ici était une humiliation publique et la perte d'un bout de ses terres, pas un séjour en prison. Pas l'exil. Ce procès n'était définitivement pas qu'un simple "litige entre voisins", c'était une manœuvre, un piège. On cherchait à les affaiblir, mais la raison derrière tout ça restait encore floue. Royenhardt ne parvint pas à la satisfaire à ce sujet du moins. Après un rapide échange, ils conclurent par cet accord tacite. Si la dame ne répondrait pas à l'appel après le procès, il saurait où elle se serait.


Si seulement elle avait pu choisir son destin, elle aurait sans doute préféré la prison à cet attentat. Blottie contre le plastron glacé de Lancelin, celui-ci la tenait fermement tandis que deux dragons noirs s'acharnaient à réduire leur aéronef en cendres.
"CRAMPONNEZ-VOUS ! VITE !"
Tout allait si vite, bien trop vite. La fumée des réacteurs endommagés brouillait leur vision, masquant les créatures qui tournoyaient autour d’eux tels des rapaces affamés. À chaque déflagration, un fracas assourdissant. Ce n’étaient pas des bêtes ordinaire, cela faisait des années que les dragons n’attaquaient plus les coerthiens, hormis quelques renégats. Mais ce cas-là... n’en était pas un. Et tout ça pour rien ? Le Gévaudan s'était tiré du procès avec de simples sanctions, un contrôle des terres par les clercs Antoine et Louis, tous deux passés par-dessus bord à la première déchirure de la coque. Ce n'était pas une coïncidence. C'était un coup monté. Une tentative d’assassinat. Et juste avant l'impact, Lenore pensa une dernière fois à son mari. À ses enfants.


La chute fut rude, mortelle même pour certains. Antoine et Louis n'y survécurent pas, leurs corps gisant dans des positions à glacer le sang. La tête encore sonnée, Lenore grelottait dans les bras de Lancelin qui la soutenait comme il pouvait, tandis que Midra s’affairait auprès d'Elric, incapable de bouger, un éclat de métal planté dans le flanc gauche. Zael, lui, scrutait les environs à la recherche d’un abri où mettre la vicomtesse à l'abri du froid.
"Trouvez-vous quelque chose, messire ?
- Rien... Rien du tout. On est paumés au beau milieu du Coerthas."

Les paysages se ressemblaient tous, et le vent gagnait en violence. Plus ils attendaient, et plus ils risquaient d'y laisser leur peau. Zael porta un regard par-dessus son épaule avant de trancher :
"Il va falloir partir et prier pour trouver un abri en chemin."


Il la porta sur son dos quand le blizzard redoublait. Derrière lui, les corps d'Elric, Lancelin et Midra gisaient à même le sol, figés par le froid. Pour la première fois de sa vie, le Loup Noir avait dû faire un choix : sacrifier ses compagnons pour sauver le cœur même du Gévaudan. Et il l'avait fait.
Il marchait difficilement dans la neige, le froid lui mordant le visage à plusieurs reprises alors qu'il traversait les vallées enneigées. Lenore ne répondait plus à ses questions, sa tête ballottait mollement contre son épaule, ses bras glissant le long de son corps. À la moindre erreur, elle tomberait.

Enfin, le regard de l'héritier se posa sur une bicoque perchée sur une colline non loin, en piteux état certes mais assez solide pour les abriter quelques heures du froid. Mais c'était sans compter sur son épuisement physique et mental qui le rattrapa à quelques mètres seulement de la bâtisse. Tandis que ses genoux cédèrent sous le poids de la fatigue, il tomba dans la neige, retenant de justesse Lenore. Et dans le voile blanc du blizzard, une silhouette s'approcha lentement.

Manius Caelius.


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