[Riversonge III] Les fondations de Gévaudan

Introduction
Tic tac, tic tac… Le bruit des horloges de la demeure Riverhood cliquette à son rythme régulier, comme pour annoncer une course effrénée contre la plus grande force de ce monde, la seule qui survit à toutes celles et ceux qui ont osé la défier : le temps.
En parfaite synchronie avec ce battement immuable, un homme avance dans les couloirs de la demeure des seigneurs de Gévaudan.
Sur son passage, domestiques et chevaliers blancs écarquillent les yeux et s’écartent de son chemin, non par crainte, mais par respect. Tic tac font ses pas, à mesure qu’il progresse, vêtu de son impeccable tenue aux couleurs de l’Ordre qu’il sert et dirige. Ses cheveux grisonnants et les quelques rides marquant son visage sont les seules preuves qu’il est, lui aussi, soumis aux saisons qui passent.
D’une main posée sur la poignée, il ouvre la porte et pénètre dans le bureau du vicomte, actuel régent de Gévaudan.
"Messire de Riverhood, je suis Augustin Beauvais, directeur de la Tour. J’espère que vous ne m’en voudrez pas d’entrer ainsi sans avoir été annoncé. Je reviens d’un long voyage, et j’ai cru comprendre que Madame la vicomtesse est actuellement absente de ses terres. Ainsi, puisque le temps est une ressource précieuse, permettez-moi d’aller droit au but : je souhaite rendre visite à une vieille amie de Gévaudan."
En parfaite synchronie avec ce battement immuable, un homme avance dans les couloirs de la demeure des seigneurs de Gévaudan.
Sur son passage, domestiques et chevaliers blancs écarquillent les yeux et s’écartent de son chemin, non par crainte, mais par respect. Tic tac font ses pas, à mesure qu’il progresse, vêtu de son impeccable tenue aux couleurs de l’Ordre qu’il sert et dirige. Ses cheveux grisonnants et les quelques rides marquant son visage sont les seules preuves qu’il est, lui aussi, soumis aux saisons qui passent.
D’une main posée sur la poignée, il ouvre la porte et pénètre dans le bureau du vicomte, actuel régent de Gévaudan.
"Messire de Riverhood, je suis Augustin Beauvais, directeur de la Tour. J’espère que vous ne m’en voudrez pas d’entrer ainsi sans avoir été annoncé. Je reviens d’un long voyage, et j’ai cru comprendre que Madame la vicomtesse est actuellement absente de ses terres. Ainsi, puisque le temps est une ressource précieuse, permettez-moi d’aller droit au but : je souhaite rendre visite à une vieille amie de Gévaudan."

Un cri déchire l’air, suivi d’un râle d’agonie, puis le silence. Vêtu de son manteau, le Père-Baron Valsonge se redresse, le regard posé sur la victime de ses traitements. Devant lui, un corps enchaîné à la pierre, dont le sang s’écoule par les yeux, les oreilles et les lèvres. Assurément, il est mort… Mais il a souffert. Qu’importe. Entre ses mains, Norberteaux tenait un papier sur lequel était griffonné, de sa propre écriture, un mot. Un nom.
Avant de se détourner, le Père-Baron adresse un dernier regard, empli de dédain, à celui qui a subi les affres de ses méthodes, puis entame sa marche vers la sortie de la caverne dissimulée au cœur des terres les plus délaissées du Coerthas. À ses côtés, un long serpent blanc, d’une taille remarquable, glisse sur le sol, se confondant presque avec la neige et la glace du manteau coertien.
"Maintenant, Naguiri… Voyons si les Riverhood sont réellement prêts à mettre les ressources nécessaires pour le traquer, ou si leurs mots sont aussi vides que je l’ai toujours pensé."
Avant de se détourner, le Père-Baron adresse un dernier regard, empli de dédain, à celui qui a subi les affres de ses méthodes, puis entame sa marche vers la sortie de la caverne dissimulée au cœur des terres les plus délaissées du Coerthas. À ses côtés, un long serpent blanc, d’une taille remarquable, glisse sur le sol, se confondant presque avec la neige et la glace du manteau coertien.
"Maintenant, Naguiri… Voyons si les Riverhood sont réellement prêts à mettre les ressources nécessaires pour le traquer, ou si leurs mots sont aussi vides que je l’ai toujours pensé."

Dans son propre bureau, Adrien s’est enfoncé dans son siège, un document serré entre ses mains. Il le lit avec gravité, ses doigts se crispant sur le papier, qu’il finit par froisser d’agacement. Soudain, il se redresse d’un bond et enfile un manteau épais. Il s’arrête un instant devant son arme -symbole de son rôle, de son rang et de son allégeance- puis, sans plus d’hésiter, la prend et l’attache à sa ceinture. Il ouvre alors la porte donnant sur l’un des nombreux couloirs du ministère et attrape le premier de ses subordonnés qui passe.
"Faites prévenir Madame la vicomtesse de Riverhood que je souhaite m’entretenir avec elle au plus vite. Et ce n’est pas une proposition."
L’homme, surpris, hoche vivement la tête avant de s’exécuter, filant à toute vitesse pour transmettre les ordres de son supérieur.
Adrien sort ensuite de la voûte d’un pas rapide, mais maîtrisé. Son regard se tourne vers le Tribunal du Saint-Office ; ses yeux se plissent, méfiants.
"Que préparez-vous, Bertrand Matignon…"
"Faites prévenir Madame la vicomtesse de Riverhood que je souhaite m’entretenir avec elle au plus vite. Et ce n’est pas une proposition."
L’homme, surpris, hoche vivement la tête avant de s’exécuter, filant à toute vitesse pour transmettre les ordres de son supérieur.
Adrien sort ensuite de la voûte d’un pas rapide, mais maîtrisé. Son regard se tourne vers le Tribunal du Saint-Office ; ses yeux se plissent, méfiants.
"Que préparez-vous, Bertrand Matignon…"

La Trahison - "Chien reconnait chien."
Par Crispin
Radz-at-Han, la cité des mille senteurs et des marchands. Crispin n'y mit pas un pied qu'il suait déjà comme un condamné sous le soleil de cuivre. L'air lui collait à la peau, les épices à la gorge, et dans cette moiteur, quelque chose de mauvais s'éveillait. Loin du monastère, loin des regards, le Frère à nouveau chasseur s'acheta en silence : un sachet d'opium, troqué contre la moitié de sa bourse et le reste de sa raison.
La nuit tombée, la Chambre d'Or se remplit d'une fumée paresseuse. Crispin s'y perdit, pipe en main, œil vague, l'âme chavirée. L'euphorie d'abord, douce, presque pieuse, avant que la paranoïa ne vienne gratter derrière ses tempes. Alors, le limier se réveilla. Il fouilla tout : sous le lit, derrière les tableaux, aux coins des murs. Il renversa la pièce comme on retourne une tombe. Le délire prit le pas sur l'homme. Dans le couloir, oreille collée au plâtre, murmurant des prières pour couvrir le bruit des espions qu'il croyait entendre. Il serait même monté à l'étage pour écouter à la porte du Père-baron, Puis plus rien. Le sommeil qu'il cherchait tant eut raison de lui, sur un coup de fatigue soudain, il est retourné dans sa chambre pour s'endormir, le sommeil qu'il cherchait tant.
La nuit tombée, la Chambre d'Or se remplit d'une fumée paresseuse. Crispin s'y perdit, pipe en main, œil vague, l'âme chavirée. L'euphorie d'abord, douce, presque pieuse, avant que la paranoïa ne vienne gratter derrière ses tempes. Alors, le limier se réveilla. Il fouilla tout : sous le lit, derrière les tableaux, aux coins des murs. Il renversa la pièce comme on retourne une tombe. Le délire prit le pas sur l'homme. Dans le couloir, oreille collée au plâtre, murmurant des prières pour couvrir le bruit des espions qu'il croyait entendre. Il serait même monté à l'étage pour écouter à la porte du Père-baron, Puis plus rien. Le sommeil qu'il cherchait tant eut raison de lui, sur un coup de fatigue soudain, il est retourné dans sa chambre pour s'endormir, le sommeil qu'il cherchait tant.

La Corruption - La Voie de la Corruption
Le Ministère des Affaires Étrangères, quelques jours à peine après son accouchement. On entendait derrière la porte, dans les longs couloirs pavés de pierres froides, les allées et venues frénétiques des employés du ministère tandis que dans la salle de réunion qu'elle n'avait pas revu depuis le début d'année, depuis la fin de l'affaire Staodan en réalité, chacun allait de son commentaire. Une grande salle, une convocation urgente, et par conséquent suspecte, de la part d'un membre éminent du ministère : rien ne présergeait rien de bon. Et comme le son du glas, le couperet tomba.
"Ils ont déposé une plainte officielle devant le Tribunal du Saint-Office, affirmant que les déboires du Gévaudan impactent leurs terres, et réclament le droit de répondre en conséquence. Ils accusent la famille Riverhood d'avoir échoué à son devoir ancestral de contenir la menace du néant qui déborde sur leur population."
Elle ne l'avait pas vu venir, pas plus qu'Elric, Zael et Midra qui l'accompagnèrent en tant que représentants de leurs familles et ordres respectifs. Personne, en vérité, n'aurait pu prévoir cette attaque conjointe et perfide des deux baronnies ayant choisi de s'allier contre les Riverhood. Les familles Sombronce et Sévillon venaient sans sommation aucune, de déclarer la guerre au Loup Blanc.
Elric souffla du nez, Zael se pinça l'arête du nez tandis que Midra tut rapidement son commentaire sur les récentes actions de Derek en sentant l'humeur écrasante de Lenore en face de lui qui avait douloureusement quitté le berceau de son fils à peine né pour venir entendre pareille nouvelle.
Quelle ironie. Du peu qu'elle connaissait des Sombronce, la famille de sa mère, il s’agissait d’une maison qui avait, certes, connu le deuil de ses barons presque au même moment que celui de ses propres parents, mais de là à la tenir pour responsable de la mort de Mérédith ? Jamais on n'avait osé la lui faire, celle-là. Son cousin Valentin pouvait bien avoir été proche de sa tante, cette soif de vengeance n’avait aucun sens. Et si elle devait recommencer ce qu’elle avait imposé à Célestin un an et demi plus tôt, elle le referait sans hésiter. Du reste, Amandine de Sévillon, veuve depuis deux ans seulement et régente au nom de son fils encore en bas âge, n'était pas sans lui rappeler cette Marguerite de Scisée quelques années plus tôt : rongée par l'ambition et le pouvoir. On la disait redoutable à la cour. Qu'à cela ne tienne, Lenore n’avait plus rien à prouver. Les jeux de la cour n’avaient plus de secret pour elle, tirer son épingle du jeu serait presque un passe-temps.
Néanmoins, si les intrigues lui étaient familières, elle ne pouvait pas en dire autant de la sphère légale. Et plus elle écoutait parler Adrien, plus elle bouillait de rage.
"Il s'agit du juge Bertrand Matignon qui sera en charge de cette affaire. Il vous recevra, ainsi que les représentants des maisons Sévillon et Sombronce, puis rendra son jugement sur la base des preuves et éléments qui lui seront apportés."
De tous les juges qu’elle avait pu croiser à Ishgard grâce à la fonction de Derek, Bertrand Matignon était sans doute le dernier qu’elle aurait voulu affronter. Convaincu d’une justice équitable, ce progressiste possédait des admirateurs le voyant comme un prophète guidé par la voix de Halone. Prophète, ou marionnettiste déguisé en homme de loi ? Cela, elle comptait bien le découvrir.
"Avons-nous une date pour ce procès ? demanda Elric.
- Ce samedi."
Lenore ferma les yeux, préférant ne rien laisser paraître.
"Si tôt... Nous devrons donc rester à Ishgard, je présume.
- En effet. J'ai... déjà veillé à agir dans l'objectif de votre défense. La maison Fortemps est certe obligée de rester neutre et de contempler la décision de justice finale, mais vous avez oeuvré sous mes ordres. Je me suis permis de déjà récolter mes propres témoignages pour faire note de votre droiture, et celles de vos vassaux. Mais en effet. Le temps sera court."
Zael se gratta le crâne, le visage fermé, incapable de dissimuler son ennui.
"C'est déjà un bon point."
La réunion s’acheva tard, dans un silence lourd et amer. Adrien leur avait laissé la salle s'ils voulaient travailler leur défense quant au procès qui les attendait, mais Zael et Midra prirent congé, épuisés par tant de tension. Ne restaient qu'Elric et la vicomtesse, debout face à l'immense vitrail qui reflétait son regard inflexible, brisé par les vagues du verre. L'agent de la tour soupira.
"Bon, bon, bon, bien. Madame la vicomtesse ? J'aimerais ajouté quelques hypothèses, avant d'entamer un plan d'action."
Il ne s'attendait pas à ce qu'elle se retourne, son regard valsant d'un papier à l'autre sur la table, son esprit fusait dans tous les sens.
"J'ai plusieurs questions qui me taraude, et qui devront probablement être répondu plus tard. En première temps : Pourquoi ? Pourquoi ces deux baronnies ont-elles décidé d'attaquer maintenant ? Deuxièmement : Quel est l'élément extérieur qui leur permettent de se montrer à la fois entreprenant et agressif dans une accusation aussi lourde envers le loup blanc ?"
Il ne comprit pas tout de suite que, plus il parlait, plus il alimentait la fureur qui couvait en elle. L'ignorance... c'était bien l'une des seules choses qui pouvaient la mettre dans cet état, derrière les menaces envers sa famille.
"... Ce n'est ni la première, ni la dernière fois que l'on m'accuse de corruption d'une chose que je n'ai pas fait. Mais c'est d'un toupet d'oser insinuer ce genre de choses envers ma famille que je ne saurais tolérer.
- Le motif d'accusation n'est pas à être pise en compte, madame, fit Elric qui ne semblait pas effrayé par le ton de la vicomtesse. Non, celui-ci n'est qu'un tremplin pour gratter, petit à petit, vos terres et vos richesses."
Les mots du jeune homme, particulièrement avisés, avaient su l'hameçonner comme jamais on avait su le faire. Sauf, bien sûr, son époux. Elle s'approcha de lui, le pas encore lourd de sa récente convalescence.
Ils parlèrent longuement ce soir-là, loin des regards et des oreilles indiscrètes. Ce qu'elle n'avait pas prévu, pour la seconde fois de la soirée, c'était de trouver au coeur de ces intrigues sinueuses la présence d'une ami pas tout à fait amical, mais à la loyauté ancienne comme le Gévaudan lui-même.
"Ils ont déposé une plainte officielle devant le Tribunal du Saint-Office, affirmant que les déboires du Gévaudan impactent leurs terres, et réclament le droit de répondre en conséquence. Ils accusent la famille Riverhood d'avoir échoué à son devoir ancestral de contenir la menace du néant qui déborde sur leur population."
Elle ne l'avait pas vu venir, pas plus qu'Elric, Zael et Midra qui l'accompagnèrent en tant que représentants de leurs familles et ordres respectifs. Personne, en vérité, n'aurait pu prévoir cette attaque conjointe et perfide des deux baronnies ayant choisi de s'allier contre les Riverhood. Les familles Sombronce et Sévillon venaient sans sommation aucune, de déclarer la guerre au Loup Blanc.
Elric souffla du nez, Zael se pinça l'arête du nez tandis que Midra tut rapidement son commentaire sur les récentes actions de Derek en sentant l'humeur écrasante de Lenore en face de lui qui avait douloureusement quitté le berceau de son fils à peine né pour venir entendre pareille nouvelle.
Quelle ironie. Du peu qu'elle connaissait des Sombronce, la famille de sa mère, il s’agissait d’une maison qui avait, certes, connu le deuil de ses barons presque au même moment que celui de ses propres parents, mais de là à la tenir pour responsable de la mort de Mérédith ? Jamais on n'avait osé la lui faire, celle-là. Son cousin Valentin pouvait bien avoir été proche de sa tante, cette soif de vengeance n’avait aucun sens. Et si elle devait recommencer ce qu’elle avait imposé à Célestin un an et demi plus tôt, elle le referait sans hésiter. Du reste, Amandine de Sévillon, veuve depuis deux ans seulement et régente au nom de son fils encore en bas âge, n'était pas sans lui rappeler cette Marguerite de Scisée quelques années plus tôt : rongée par l'ambition et le pouvoir. On la disait redoutable à la cour. Qu'à cela ne tienne, Lenore n’avait plus rien à prouver. Les jeux de la cour n’avaient plus de secret pour elle, tirer son épingle du jeu serait presque un passe-temps.
Néanmoins, si les intrigues lui étaient familières, elle ne pouvait pas en dire autant de la sphère légale. Et plus elle écoutait parler Adrien, plus elle bouillait de rage.
"Il s'agit du juge Bertrand Matignon qui sera en charge de cette affaire. Il vous recevra, ainsi que les représentants des maisons Sévillon et Sombronce, puis rendra son jugement sur la base des preuves et éléments qui lui seront apportés."
De tous les juges qu’elle avait pu croiser à Ishgard grâce à la fonction de Derek, Bertrand Matignon était sans doute le dernier qu’elle aurait voulu affronter. Convaincu d’une justice équitable, ce progressiste possédait des admirateurs le voyant comme un prophète guidé par la voix de Halone. Prophète, ou marionnettiste déguisé en homme de loi ? Cela, elle comptait bien le découvrir.
"Avons-nous une date pour ce procès ? demanda Elric.
- Ce samedi."
Lenore ferma les yeux, préférant ne rien laisser paraître.
"Si tôt... Nous devrons donc rester à Ishgard, je présume.
- En effet. J'ai... déjà veillé à agir dans l'objectif de votre défense. La maison Fortemps est certe obligée de rester neutre et de contempler la décision de justice finale, mais vous avez oeuvré sous mes ordres. Je me suis permis de déjà récolter mes propres témoignages pour faire note de votre droiture, et celles de vos vassaux. Mais en effet. Le temps sera court."
Zael se gratta le crâne, le visage fermé, incapable de dissimuler son ennui.
"C'est déjà un bon point."
La réunion s’acheva tard, dans un silence lourd et amer. Adrien leur avait laissé la salle s'ils voulaient travailler leur défense quant au procès qui les attendait, mais Zael et Midra prirent congé, épuisés par tant de tension. Ne restaient qu'Elric et la vicomtesse, debout face à l'immense vitrail qui reflétait son regard inflexible, brisé par les vagues du verre. L'agent de la tour soupira.
"Bon, bon, bon, bien. Madame la vicomtesse ? J'aimerais ajouté quelques hypothèses, avant d'entamer un plan d'action."
Il ne s'attendait pas à ce qu'elle se retourne, son regard valsant d'un papier à l'autre sur la table, son esprit fusait dans tous les sens.
"J'ai plusieurs questions qui me taraude, et qui devront probablement être répondu plus tard. En première temps : Pourquoi ? Pourquoi ces deux baronnies ont-elles décidé d'attaquer maintenant ? Deuxièmement : Quel est l'élément extérieur qui leur permettent de se montrer à la fois entreprenant et agressif dans une accusation aussi lourde envers le loup blanc ?"
Il ne comprit pas tout de suite que, plus il parlait, plus il alimentait la fureur qui couvait en elle. L'ignorance... c'était bien l'une des seules choses qui pouvaient la mettre dans cet état, derrière les menaces envers sa famille.
"... Ce n'est ni la première, ni la dernière fois que l'on m'accuse de corruption d'une chose que je n'ai pas fait. Mais c'est d'un toupet d'oser insinuer ce genre de choses envers ma famille que je ne saurais tolérer.
- Le motif d'accusation n'est pas à être pise en compte, madame, fit Elric qui ne semblait pas effrayé par le ton de la vicomtesse. Non, celui-ci n'est qu'un tremplin pour gratter, petit à petit, vos terres et vos richesses."
Les mots du jeune homme, particulièrement avisés, avaient su l'hameçonner comme jamais on avait su le faire. Sauf, bien sûr, son époux. Elle s'approcha de lui, le pas encore lourd de sa récente convalescence.
Ils parlèrent longuement ce soir-là, loin des regards et des oreilles indiscrètes. Ce qu'elle n'avait pas prévu, pour la seconde fois de la soirée, c'était de trouver au coeur de ces intrigues sinueuses la présence d'une ami pas tout à fait amical, mais à la loyauté ancienne comme le Gévaudan lui-même.
Mais depuis quand Lenore de Riverhood avait-elle besoin d’amis dans le monde carnassier de la cour,
quand la loyauté seule lui suffisait ?
quand la loyauté seule lui suffisait ?
Royenhardt d'Astelbrand
Il y a 1 mois et 2 semaines

La trahison — les réminiscences des braises
"Qui n'est jamais tombé n'a pas une juste idée de l'effort à faire pour se tenir debout." - Multatuli
À l'orée d'une de ces nuits parmi tant d'autres, le chevalier rouge de Gévaudan perdait, une fois de plus, ses songes dans la discorde soufflée des étoiles. Cette voûte ensorcelante, qui avait le don d'arracher ses doutes et ses peines, ne répondait plus à ses appels de détresse. Qui le ferait, sinon ? Peu importe où son regard se tournait : il n'y voyait alors que le noir, que la sombre illusion d'une solitude sans nom. Que le songe infini où se mêlaient fond de vérités et surface de doutes, que l'infinie tristesse de s'abreuver de ce froid mordant qui lui faisait comprendre, à chaque instant, qu'il était seul. Plus que jamais : loin des siens, loin de ses terres, loin de ceux qu'il aimait.
Les mots du Père-Baron résonnaient dans son esprit, éprouvant à quel point ses pensées étaient lourdes. Il ne restait, de ces cendres, que la fine étincelle produite par ces mots si bien trouvés. Des paroles d'une précision sans pareille, visant précisément au milieu de ce brouillard aux teintes ternes et blafardes, à l'épicentre même où ses songes ne pouvaient que résonner sans jamais raisonner.
— « J'ose imaginer que vous, plus que d'autres, souhaitez mettre la main dessus, Astelbrand. »
— « Je gage que nous avons tous la hargne de poursuivre l'impie, pour nous qui voulons protéger Gévaudan. »
— « Vous avez une histoire personnelle avec l'impie.
« Clairval. »
Royenhardt perdit un battement de cœur sur ces mots. Comme un lourd souvenir qui, jamais auparavant, n'avait été aussi surprenamment ressassé. Dans ce dédale exigu de cassures, de débris et de ruines, dans ce givre éternel qui tapissait l'esprit du chevalier rouge, était née cette insatiable braise. La première braise parmi ces flammes autrefois inextinguibles, qui reprit peu à peu la lueur vacillante d'une flammèche à naître. Elle n'était pas de celles qui rallument le bois chaud d'un âtre réconfortant, ni de ces encens fumants et apaisants ; elle était le témoin d'un réveil chez le chevalier, d'une prise de conscience qu'il n'avait pas eue depuis longtemps.
— « Sûrement gagnerez-vous en motivation en apprenant que, lors de la seconde bataille de Clairval, les cultistes qui en ont occupé les ruines étaient au service de la Main d'Or. Cet impie n'est pas un simple impie. Il a désacralisé le village qui habite encore vos cauchemars.
« Peut-être bien est-il à l'origine de la première attaque également. Alors que vous n'étiez qu'un enfant. »
Les souvenirs étaient là. En un triste hommage de cette nuit de hurlements calcinés et de souffrances écoulées, demeurait l'éternelle fracture craquelée sur sa joue et la moitié de son visage. Instinctivement, le chevalier heurta le bout de ses doigts froids sur son bandeau et les restes de sa peau mordue. Il se rejouait, sans peine, cette intense sensation : les flammes déchirant sa chair, éclatant chaque vaisseau sanguin dans un festival morbide de sang et de douleurs.
Cette vue limpide, dont il n'oublierait jamais aucun détail : l'étendue en ruines de ce bâtiment s'écrasant lentement sur la silhouette de feu son père, mort en essayant de sauver des enfants qui perdirent la vie avec lui. Si les larmes d'une peine jamais essoufflée ne remontaient pas jusqu'à ses yeux, il en était tout autre de cette frustration presque bestiale, sauvage, exprimée à l'intérieur de ses poings serrés et brûlants de haine. La colère et la rage étaient tout ce qui demeurait dans cette brume de solitude, celle-là même distillée dans le regard éprouvé de Royenhardt.
Si ces émotions bouillonnantes étaient une énergie, elles alimentaient un moteur inarrêtable déjà lancé à pleine vitesse. Une fin sûrement précipitée, comme on jetterait l'imprudent dans les crocs de la mort. Ça n'avait pourtant rien de nouveau pour le chevalier téméraire de Gévaudan ; celui-là même qu'on connaissait pour ses prises de risques inconsidérées. Celui-là même qu'on connaissait pour ces danses macabres, alors au creux même d'une grande main funeste, tel une marionnette désarticulée qui jouerait un spectacle dont lui-même ignore l'existence. Même face à des spectateurs carnassiers avides de voir le prochain pas. Que serait ce fameux pas, cette fameuse progression ? Comment serait la fin à une aussi triste histoire, ce conte tragique dans lequel Royenhardt jouait aussi bien sa réussite que sa déchéance, autant dans sa vie que dans sa mort.
Dans ce genre de romans, on oublie bien vite qu'à chaque héros, sa mort. De la même façon qu'à chaque flamme ne restent que ses cendres. Si les ailes du phénix eurent l'audace d'emporter la persévérance du chevalier jusqu'à l'apothéose de ses arts, alors qu'à cela ne tienne : il se jouerait ainsi un drame comme bien souvent le Gévaudan en a connu. Et à l'épicentre du triste cratère qui en résulterait, le chevalier serait l'idiot Icare, dont le sourire brillant et satisfait contrasterait avec peine la destruction qu'il se serait lui-même infligée. Alors, à en juger par ses yeux, par cette triste lueur ravivée, ce n'était que la seule fin possible à toute cette mascarade.
— « Dans ce cas, c'est lui que je dois pourfendre », grogna le chevalier aux yeux ardents, tout juste éclairés d'une lueur qui ne trompait pas ses intentions. Là où le commun naïf y verrait une détermination renouvelée, le souffle d'une flamme ranimée, ceux qui ont déjà arpenté les abysses sombres de la mort et de la fin y sentiraient l'aspect destructeur : la vengeance. Ce feu noir et froid qui avait pour morsure l'infini soupir d'une peine qu'on ne calmait pas, et d'une fin qu'on ne voyait jamais.
— « Je dois venger mon père », furent ainsi ses dernières paroles en cette soirée, sur ce premier pas en avant.
Qui sait où ces paroles le mèneront, à présent ? Cet envol soudain et ces ailes renouvelées l'emmèneront-ils dans la gloire ou dans son ultime déchéance ?
Quoi laisser derrière soi
Extrait du journal intime d'Augustine
Quitter enfin les neiges d’Ishgard ! J’avais presque oublié la couleur du monde autrement que sous ce voile blanc et gris qui ensevelit tout les toits, les âmes et les songes. Le voyage jusqu’en Dravania m’a paru d’abord comme une délivrance, une échappée belle hors du Coerthas et de sa froideur sans fin. L’air ici, bien que frais pour les locaux, semble plus vivant, plus chargé d’odeurs d’humus et de sève. J’y respire comme on respire après une longue fièvre.
Mais la légèreté ne dure guère : le spectre du Gévaudan rôde encore, endormi sous la glace, monstrueux vestige d’un passé qu’on ne peut se permettre de remiser. On parle de rituel, de scellement, de cent années de répit… et moi, je frémis à l’idée de me tenir devant cette chose millénaire, prisonnière d’un froid plus ancien que nos souvenirs. J’ignore si je crois encore aux dieux, mais je crois aux bêtes et celle-ci, je le sens, ne dort jamais tout à fait. Son influence, bien que prisonnière de la grotte où elle gît, se fait ressentir à la perfection. On pourrait entendre son cœur battre et sentir son souffle au travers de l'épaisse couche de glace qui l'emprisonne.
Monsieur Beauvais nous a demandé de songer à un objet à confier à la glace, au cas où la mort nous prendrait avant la fin du mandat. Une relique de nous, un témoignage. Quelle ironie ! Je me suis surprise à tourner longtemps la question dans mes songes comme mon manipule un galet entre ses doigts : qu’ai-je donc à laisser ? Que voudrait-on de moi ?
Une plume, peut-être ? Une feuille tachée d’encre ? Quelle vanité… Je crois que je préférerais ne rien léguer du tout. Que la glace se referme sur mon absence, et qu’aucun nom ne vienne troubler son silence.
L’idée même de la postérité m’effraie. Je ne la perçois pas comme un devoir de mémoire mais comme un mirage, un miroir déformant. Les vivants passent, les mots se déforment, les mémoires gardent que se qui leur chante. Si un jour mes écrits subsistent, qu’ils le fassent sans moi. Qu’on les lise comme on lit une lettre trouvée sur un banc, sans savoir à qui elle appartenait. Être oubliée me semble, à présent, plus enviable qu'être connue et reconnue à titre posthume.
Et puis, il y a cette idée atroce qui me traverse parfois : celle d’être un fantôme à ma propre veillée funèbre. D’errer parmi les vivants, invisible et glacée, tandis qu’ils débiteraient à mon propos ces fades consolations qu’on offre aux morts comme des fleurs sans parfum. J’entends déjà leurs voix compassées : « Pauvre enfant, si vaillante, si pleine de cœur… » ou quelque autre sottise de même acabit. Quelle imposture ! Le courage qu’on prête aux disparus n’est souvent qu’un déguisement pour apaiser les consciences de ceux qui restent.
Je ne supporterais pas qu’on se souvienne de moi ainsi : travestie par la bienséance, parée de vertus qu’on m’aurait inventées. Si la glace devait garder trace de moi, qu’elle garde le silence. Mieux vaut disparaître toute entière que de survivre dans le mensonge des éloges.
Mais la légèreté ne dure guère : le spectre du Gévaudan rôde encore, endormi sous la glace, monstrueux vestige d’un passé qu’on ne peut se permettre de remiser. On parle de rituel, de scellement, de cent années de répit… et moi, je frémis à l’idée de me tenir devant cette chose millénaire, prisonnière d’un froid plus ancien que nos souvenirs. J’ignore si je crois encore aux dieux, mais je crois aux bêtes et celle-ci, je le sens, ne dort jamais tout à fait. Son influence, bien que prisonnière de la grotte où elle gît, se fait ressentir à la perfection. On pourrait entendre son cœur battre et sentir son souffle au travers de l'épaisse couche de glace qui l'emprisonne.
Monsieur Beauvais nous a demandé de songer à un objet à confier à la glace, au cas où la mort nous prendrait avant la fin du mandat. Une relique de nous, un témoignage. Quelle ironie ! Je me suis surprise à tourner longtemps la question dans mes songes comme mon manipule un galet entre ses doigts : qu’ai-je donc à laisser ? Que voudrait-on de moi ?
Une plume, peut-être ? Une feuille tachée d’encre ? Quelle vanité… Je crois que je préférerais ne rien léguer du tout. Que la glace se referme sur mon absence, et qu’aucun nom ne vienne troubler son silence.
L’idée même de la postérité m’effraie. Je ne la perçois pas comme un devoir de mémoire mais comme un mirage, un miroir déformant. Les vivants passent, les mots se déforment, les mémoires gardent que se qui leur chante. Si un jour mes écrits subsistent, qu’ils le fassent sans moi. Qu’on les lise comme on lit une lettre trouvée sur un banc, sans savoir à qui elle appartenait. Être oubliée me semble, à présent, plus enviable qu'être connue et reconnue à titre posthume.
Et puis, il y a cette idée atroce qui me traverse parfois : celle d’être un fantôme à ma propre veillée funèbre. D’errer parmi les vivants, invisible et glacée, tandis qu’ils débiteraient à mon propos ces fades consolations qu’on offre aux morts comme des fleurs sans parfum. J’entends déjà leurs voix compassées : « Pauvre enfant, si vaillante, si pleine de cœur… » ou quelque autre sottise de même acabit. Quelle imposture ! Le courage qu’on prête aux disparus n’est souvent qu’un déguisement pour apaiser les consciences de ceux qui restent.
Je ne supporterais pas qu’on se souvienne de moi ainsi : travestie par la bienséance, parée de vertus qu’on m’aurait inventées. Si la glace devait garder trace de moi, qu’elle garde le silence. Mieux vaut disparaître toute entière que de survivre dans le mensonge des éloges.

La Corruption - Le procès à huis clos
Ajustant le collier frontal où brillaient les rayons du soleil déjà haut, Lenore observait son reflet dans le grand miroir de son boudoir. Boucles d’oreilles assorties, décolleté plongeant, corset serré jusqu’à l’étouffement, robe cintrée, cheveux tirés et maquillage raffiné, tout avait été calculé avec soin jusque dans les moindres détails pour donner l’image d’une femme que rien n’effraie. Dans quelques heures, elle serait assise face au juge Bertrand Matignon. Si elle avait pu admettre ses craintes à sa délégation, jamais elle ne laisserait transparaître la moindre faiblesse en public. Il en allait de sa réputation... mais surtout du contrôle qui la mènerait à la victoire.
"Mmmh... Mama part ?"
La petite tête blonde de Victoria passa par l'entrebâillement de la porte avant qu'elle ne s'élance dans la pièce toujours baignée par la lueur des bougies. Elle avait sans doute observé sa mère depuis un moment déjà, suivie d'Alexandre qui tenait Léon dans ses bras sous l’œil attentif de la vieille Clothilde.
"Ma petite princesse, Victoria, tu ne fais pas encore la sieste ?
- ... Na."
Les mains de Lenore quittèrent le pli de sa robe pour enlacer la taille de sa fille, un sourire espiègle accroché au coin des lèvres. L'enfant savait qu'elle défiait l'autorité de sa mère, pour autant celle-ci, loin de sévir, lui offrit une douce étreinte. C'était inhabituel, et Alexandre l'avait bien remarqué. Il pénètra à son tour dans le boudoir, blottissant son petit frère contre lui, le regard sévère.
"Il y a encore un méchant ? demanda-t-il sans détour.
- Le Gévaudan est en proie aux rapaces. Maman va aller défendre ses terres, et elle ne sera pas seule.
- Maman va se battre ?!"
Victoria redressa la tête, les yeux brillants d’admiration au point d’arracher à sa mère un discret rire intérieur.
"Oui, mais par les mots, pas par la lame. On m'attend au tribunal en fin de journée, mais cela ne durera que quelques heures à peine. Je rentrerai avec Ser Lancelin.
- Le nouveau chevalier blanc..."
Comme un feu qui se propage, l'admiration de Victoria gagna son frère dont le regard pétilla avec autant d'ardeur que celui de sa soeur. Il avait déjà aperçu Lancelin, de loin, lors de son adoubement. A chaque cérémonie de ce genre, le jeune garçon devenait la petite terreur du manoir, suppliant qu'on le laisse assister à la scène. Plus d'une fois son obstination avait attendri l'assemblée. "Un vrai Riverhood", disaient souvent certains, alors qu'il approchaint doucement de ses cinq ans.
"Je viendrais vous voir dès que j'en aurais fini, d'accord ?
- Oui, mama."
La main de Lenore glissa tendrement dans les cheveux de sa fille, désormais bien plus longs qu’avant. Rassuré, Alexandre se contenta de hocher la tête avant que Lenore ne lui prenne Léon des bras pour le cajoler une dernière fois. Les autres mères auraient été horrifiées de la voir parler sans filtre devant son fils, mais elle, en était fière. Un jour, il prendrait sa place, et elle voulait déjà lui parler avec la maturité d’un adulte. Avec un fief comme le Gévaudan, il aurait été insensé d’embellir les horreurs qu’elle voyait chaque jour.
Un dernier baiser sur le front de son fils, puis elle le confia à Clothilde avant de quitter le manoir. Dehors l’attendaient Elric, Midra, Zael et Lancelin. Le Tribunal du Saint-Office n'attendaient plus qu'eux.
"Mmmh... Mama part ?"
La petite tête blonde de Victoria passa par l'entrebâillement de la porte avant qu'elle ne s'élance dans la pièce toujours baignée par la lueur des bougies. Elle avait sans doute observé sa mère depuis un moment déjà, suivie d'Alexandre qui tenait Léon dans ses bras sous l’œil attentif de la vieille Clothilde.
"Ma petite princesse, Victoria, tu ne fais pas encore la sieste ?
- ... Na."
Les mains de Lenore quittèrent le pli de sa robe pour enlacer la taille de sa fille, un sourire espiègle accroché au coin des lèvres. L'enfant savait qu'elle défiait l'autorité de sa mère, pour autant celle-ci, loin de sévir, lui offrit une douce étreinte. C'était inhabituel, et Alexandre l'avait bien remarqué. Il pénètra à son tour dans le boudoir, blottissant son petit frère contre lui, le regard sévère.
"Il y a encore un méchant ? demanda-t-il sans détour.
- Le Gévaudan est en proie aux rapaces. Maman va aller défendre ses terres, et elle ne sera pas seule.
- Maman va se battre ?!"
Victoria redressa la tête, les yeux brillants d’admiration au point d’arracher à sa mère un discret rire intérieur.
"Oui, mais par les mots, pas par la lame. On m'attend au tribunal en fin de journée, mais cela ne durera que quelques heures à peine. Je rentrerai avec Ser Lancelin.
- Le nouveau chevalier blanc..."
Comme un feu qui se propage, l'admiration de Victoria gagna son frère dont le regard pétilla avec autant d'ardeur que celui de sa soeur. Il avait déjà aperçu Lancelin, de loin, lors de son adoubement. A chaque cérémonie de ce genre, le jeune garçon devenait la petite terreur du manoir, suppliant qu'on le laisse assister à la scène. Plus d'une fois son obstination avait attendri l'assemblée. "Un vrai Riverhood", disaient souvent certains, alors qu'il approchaint doucement de ses cinq ans.
"Je viendrais vous voir dès que j'en aurais fini, d'accord ?
- Oui, mama."
La main de Lenore glissa tendrement dans les cheveux de sa fille, désormais bien plus longs qu’avant. Rassuré, Alexandre se contenta de hocher la tête avant que Lenore ne lui prenne Léon des bras pour le cajoler une dernière fois. Les autres mères auraient été horrifiées de la voir parler sans filtre devant son fils, mais elle, en était fière. Un jour, il prendrait sa place, et elle voulait déjà lui parler avec la maturité d’un adulte. Avec un fief comme le Gévaudan, il aurait été insensé d’embellir les horreurs qu’elle voyait chaque jour.
Un dernier baiser sur le front de son fils, puis elle le confia à Clothilde avant de quitter le manoir. Dehors l’attendaient Elric, Midra, Zael et Lancelin. Le Tribunal du Saint-Office n'attendaient plus qu'eux.

"Un coup monté ?! Vous n'avez donc aucun argument ?!"
Indignée, Amandine avait élevé la voix depuis l’autre bout de la pièce où se tenaient Lenore et Zael. Étonnamment, l’audience se déroulait à huis clos à la demande de l’opposition. Officiellement, il s’agissait d’éviter de trop exposer ce "différend entre voisins". Officieusement, ils auraient pourtant eu tout à gagner à décrédibiliser la vicomtesse en public.
Lenore avait réfuté une à une toutes les accusations portées contre elle et contre le Gévaudan. De l'incapacité à contenir la menace du néant sur ses terres à la création de portails du néant aux portes des frontières Sévillon pour les attaquer et ravager leurs villages, tout avait été nié en bloc. Et pour cause, au-delà d’être mensongères, ces affirmations ne tenaient pas debout. Les runes clandestines avaient été découvertes loin du fortin de Portelune, les habitants n’avaient vu aucun démon depuis près d’un an, et il semblait pour le moins curieux que madame de Sévillon sache précisément de quoi il retournait... avec de simples jumelles. Pour peu qu’elle fût investie et passionnée dans sa narration, elle avait des allures de femme à qui l’on avait tout donné sans jamais expliquer ce qu’elle récitait.
"Votre Honneur.
- Je vous présente des reproductions, et vous arrivez déjà à les identifier. Je vous l'ai dit. Je ne sais pas ce qu'elles veulent dire. En revanche, elles ont été vues chez vous, et les dégats, eux, viennent chez moi. C'est ce que diront les Riverhood aux familles des victimes ? Que je diffame ? Alors que vous attestez de la présence de ces runes ? Que vous envoyez vos minions tenter de me manipuler en pleine procédure ?!
- Madame de Sévillon, je vous prie de laisser finir la vicomtesse."
Le juge Matignon fit claquer son marteau contre le bois, ramenant le silence dans l’audience. À bien des égards, il déjouait les attentes. La clairvoyance qu’on lui prêtait aurait pu lui monter à la tête, pourtant il demeurait mesuré, attentif, presque bienveillant avec les deux parties. Pas une seule fois il ne se montra hostile, même lorsque Zael prit la parole pour tenter une nouvelle approche. Et pourtant... quelque chose clochait. Dans le creux de son ventre, Lenore sentait que rien de tout cela ne rimait à rien.
Indignée, Amandine avait élevé la voix depuis l’autre bout de la pièce où se tenaient Lenore et Zael. Étonnamment, l’audience se déroulait à huis clos à la demande de l’opposition. Officiellement, il s’agissait d’éviter de trop exposer ce "différend entre voisins". Officieusement, ils auraient pourtant eu tout à gagner à décrédibiliser la vicomtesse en public.
Lenore avait réfuté une à une toutes les accusations portées contre elle et contre le Gévaudan. De l'incapacité à contenir la menace du néant sur ses terres à la création de portails du néant aux portes des frontières Sévillon pour les attaquer et ravager leurs villages, tout avait été nié en bloc. Et pour cause, au-delà d’être mensongères, ces affirmations ne tenaient pas debout. Les runes clandestines avaient été découvertes loin du fortin de Portelune, les habitants n’avaient vu aucun démon depuis près d’un an, et il semblait pour le moins curieux que madame de Sévillon sache précisément de quoi il retournait... avec de simples jumelles. Pour peu qu’elle fût investie et passionnée dans sa narration, elle avait des allures de femme à qui l’on avait tout donné sans jamais expliquer ce qu’elle récitait.
"Votre Honneur.
- Je vous présente des reproductions, et vous arrivez déjà à les identifier. Je vous l'ai dit. Je ne sais pas ce qu'elles veulent dire. En revanche, elles ont été vues chez vous, et les dégats, eux, viennent chez moi. C'est ce que diront les Riverhood aux familles des victimes ? Que je diffame ? Alors que vous attestez de la présence de ces runes ? Que vous envoyez vos minions tenter de me manipuler en pleine procédure ?!
- Madame de Sévillon, je vous prie de laisser finir la vicomtesse."
Le juge Matignon fit claquer son marteau contre le bois, ramenant le silence dans l’audience. À bien des égards, il déjouait les attentes. La clairvoyance qu’on lui prêtait aurait pu lui monter à la tête, pourtant il demeurait mesuré, attentif, presque bienveillant avec les deux parties. Pas une seule fois il ne se montra hostile, même lorsque Zael prit la parole pour tenter une nouvelle approche. Et pourtant... quelque chose clochait. Dans le creux de son ventre, Lenore sentait que rien de tout cela ne rimait à rien.

"Je vous remercie, Ser Lancelin. Nous nous reverrons demain.
- Reposez-vous bien, madame."
Une fois Lancelin parti, Lenore s'affaissa dans un long soupir sur le canapé de ses appartements où l'attendait sa chemise de nuit soigneusement déposée plus tôt par la jeune Adelaine. Le verdict tomberait dans quelques jours à peine, mais elle n'en espérait rien de bon. Elric partageait son avis : leur défense était maigre, faute de temps pour rassembler les preuves nécessaires. Une audience prise en traître... mais au moins, ils savaient désormais à qui ils avaient affaire. Amandine n’était sans doute qu’un pion de machinations plus vastes de Main d’Or. Main d’Or... Elle leur en parlerait dans les jours à venir. Elle le devait.
- Reposez-vous bien, madame."
Une fois Lancelin parti, Lenore s'affaissa dans un long soupir sur le canapé de ses appartements où l'attendait sa chemise de nuit soigneusement déposée plus tôt par la jeune Adelaine. Le verdict tomberait dans quelques jours à peine, mais elle n'en espérait rien de bon. Elric partageait son avis : leur défense était maigre, faute de temps pour rassembler les preuves nécessaires. Une audience prise en traître... mais au moins, ils savaient désormais à qui ils avaient affaire. Amandine n’était sans doute qu’un pion de machinations plus vastes de Main d’Or. Main d’Or... Elle leur en parlerait dans les jours à venir. Elle le devait.
"Mama ! T'es rentrée !"

La Trahison - Lucidité d'un chasseur
Par Crispin
Crispin, silhouette grise dans un monde de couleurs vives, avançait dans le dédale des ruelles. Dans ses bras, un petit ballot enveloppé d'un linge clair fragile, qu'il tenait comme un enfant malade. Les fleurs de Somnas pulsaient doucement à travers l'étoffe, diffusant un parfum léger, narcotique. Elles étaient belles, mortelles au soleil, précieuses comme un secret. Chaque pas résonnait sur la pierre. Les sentinelles thavnairoises, distraites par les jeux des docks ou les lanternes des courtisanes, ne remarquaient guère l'homme fureteur qui glissait dans les recoins. Crispin, lui, ne voyait que sa route, des escaliers abrupts, des passerelles branlantes, le souffle court et la gorge sèche. Lorsqu'il atteignit la jetée, l'aube commençait à effleurer l'horizon.
Les premières lueurs caressaient déjà les flots d'un bleu laiteux. Il hâta le pas, presque au pas de course, avant que la clarté n'atteigne son fardeau. Le parfumeur l'attendait. Un vieil Ao'ra, la peau dorée, la barbe tressée de fils d'or, dont les yeux semblaient chargés d'encens eux aussi. Sans un mot, Crispin lui tendit le paquet, mains tremblantes, le souffle rauque. L'autre hocha lentement la tête, vérifia le contenu, puis, d'un geste précis, lui remit une petite fiole scellée et l'invita à l'intérieur pour reposer le coursier blême. Le liquide à l'intérieur captait la lumière lunaire encore suspendue dans les airs, un Rêve de Sanduruva, murmura-t-il.
Un distillat rare, capable d'endormir ou de montrer des visions. Crispin garda la fiole au creux de sa paume, comme on garde une prière interdite. Le petit matin, sentait la poussière d'ambre et la promesse du jour.
Crispin s'y tenait encore, à la porte du parfumeur, les doigts resserrés sur la fiole qu'on venait de lui confier. Le verre tiède captait les reflets du soleil levant, et pour la première fois depuis longtemps, la chaleur n'était pas épouvantable.
Il n'était pas homme de ces terres, ça se voyait à sa peau pâle, à ses yeux pleins de distance.
Lui, le chasseur, le moine du Monastère Valsonge, portait dans sa chair la raideur d'un monde où l'étranger inspire la peur, où les dieux ont un seul visage et les hommes, un seul cœur. Il avait appris à s'enfermer dans cette méfiance comme dans une armure : les Ao'ra, les Miqo'te, les Hrothgar, tous étaient pour lui des bêtes étranges, déguisées de manières humaines. Mais le vieil Ao'ra n’avait pas parlé comme une bête. Il l'avait regardé, longuement, avec cette lenteur tranquille des sages qui savent que la mort n'est qu'un souffle. Son regard, profond et calme, avait traversé celui de Crispin comme une lumière d'aube perçant la brume. Pas de peur. Pas de jugement. Seulement la reconnaissance d'un autre être usé.
Alors quelque chose s'était défait. Un nœud ancien, serré dans sa poitrine depuis trop d'années. Une honte peut-être, celle d'avoir haï sans connaître. Ou une fatigue, celle d'avoir tant combattu des fantômes qu'il avait créés lui-même.
Dans la jetée, Crispin inspira. Et dans la brume matinale, pour une fois, ne lui rappelait pas la suffocation de ses cauchemars, mais la douceur d'un monde vaste, vibrant, où les visages étaient innombrables, et les âmes aussi multiples que les langues qu'il entendait dans les ruelles. L'opium, les grenades soporifiques, les nuits de démence tout cela lui parut soudain si lointain, comme une autre vie. L'échange, simple et humain, avec cet Ao'ra, avait eu sur lui l'effet d'une confession. C'était cela qu'il avait cherché depuis le début, pas l'oubli, mais la paix. Alors il marcha à travers les ruelles encore tièdes de la nuit, les mains vides, le cœur clair. Les visages autour de lui n'étaient plus des étrangetés menaçantes. Et dans le reflet des bassins d'eau colorée, il vit son propre visage, moins dur, moins tendu, lavé de son ancienne haine.
Crispin, le chasseur, venait de déposer une part de lui-même à Radz-at-Han.Dans ce port d'épices et de couleurs vives, il n'était plus le geôlier de sa peur. Il était un homme ni plus, ni moins enfin délivré. Mais si la rencontre du vieil ao'ra l'avait déjà chamboulé, c'est ensuite qu'il finit par trouver un sincère remède.
Une échappatoire au tremblement, à la faim d'un autre genre, celle qui brûle sous la peau quand l'esprit n'en peut plus de lutter. Radz-at-Han, pour lui, n'était qu'un refuge provisoire, un labyrinthe d'odeurs et de couleurs où se cacher le temps que le manque s'éteigne il en avait peut-être même oublié la mission au final. Mais les addictions ne meurent pas, elles se transforment. Et parfois, la transformation prend visage humain.
Hellia avait cette manière d'être là sans envahir, de parler sans troubler. Quand elle l'accueillit pour la première fois dans la salle d'indigo et de safran de cette maison de charmes, Crispin ne sut pas pourquoi il resta. Sans doute parce qu'elle ne lui demanda rien. Ni offrande, ni excuse.
Seulement de respirer.
Et cela, il avait oublié comment faire.
Les séances se succédèrent, semblables et pourtant différentes. Au début, il ne savait qu'obéir : inspirer, retenir, expirer, suivre la voix, le rythme, la règle. Cela, il savait faire, la discipline, il l'avait apprise dans la boue, dans la chasse, dans l'effort. Mais ici, l'obéissance n'était pas une arme : c'était un abandon. Chaque souffle arrachait un peu du froid du Gévaudan, de cette méfiance d'homme-né dans la pierre et la peur des autres. Les races, les visages, les peaux, les cornes, les queues, tout ce qu'il fuyait jadis devenait peu à peu simple variation de la même lumière.
Hellia parlait d'union, non de chair mais d'équilibre. Et lui, crispé, fermait les yeux pour que ses mains cessent de trembler. Il apprit à sentir sans désirer, à écouter sans se perdre. À reconnaître la chaleur sans la craindre. Puis vint un jour où elle s'approcha davantage après de multiples séances. Sa main resta suspendue dans l'air, à deux doigts de son épaule. Rien ne le touchait, pourtant, tout le toucha. C'était un poids de confiance, d'accord tacite. Le silence avait pris la place du contrôle. Et dans ce silence, quelque chose céda, non une barrière, mais un serment intérieur.
Leur souffle se mêla sans contact. Puis la distance, lentement, se fit moindre. Quand enfin la peau rencontra la peau, ce ne fut pas un heurt mais une prière. Aucun mot ne fut dit, aucune promesse n'éclata. Seulement ce geste ancien, presque sacré, où deux êtres cessent de vouloir se guérir et se tiennent simplement : présents, lucides, vivants.
Hellia ne fit rien pour retenir, ni prolonger. Elle se contenta d'un regard paisible, d'un souffle partagé. Et lui, pour la première fois depuis longtemps, ne sentit ni honte ni faim. Seulement la paix. Le monde extérieur pouvait bien s'agiter, lui, dans ce cercle rouge tracé sur le sol à l'aide d'une cordelette, venait d'apprendre à ne plus haïr ce qu'il était.
Après une discussion avec le maître du bordel, Crispin écouté les mécaniques du pouvoir, les rouages de la peur, les fondations des maisons closes dans la crasse, celles qui s'imposent dans le venin, il lui avait dit qu'on ne construisait pas la lumière sans se salir les mains et qu'il souhaitait vraiment bâtir un bordel pour connaître les secrets du Gévaudan au profit de ses maîtres, il devait d'abord accepter de se regarder dans un miroir de brutalité et de réussir à tirer son épingle du jeu car les maisons qui savent tout finissent par n'avoir plus rien à offrir que le venin qu'elles ont avalé. Les ruffians voudront leur rente, les maris leur chair à venger, les autorités leur tribu.
Ces rencontres l'avait changé, en bien, il avait encore ses fêlures, sa violence et désormais, sa lucidité de chasseur était revenue, son regard blême voyait toujours le monde différemment mais au lieu de tout voir en noir, il y avait des nuances de gris. Pour sûr, il évolue, il change, il s'adapte, Crispin est un chasseur sagace qui apprend de son environnement, il suit la courbure des fleuves, il écoute les plaintes du vent, il sait suivre les habitudes des proies, ce dégénéré est un véritable maître de la dissimulation pour se cacher dans la nature, dans l'ombre, et bientôt dans la société. Ce boucher sanguinaire n'a pas fini de surprendre.
Les premières lueurs caressaient déjà les flots d'un bleu laiteux. Il hâta le pas, presque au pas de course, avant que la clarté n'atteigne son fardeau. Le parfumeur l'attendait. Un vieil Ao'ra, la peau dorée, la barbe tressée de fils d'or, dont les yeux semblaient chargés d'encens eux aussi. Sans un mot, Crispin lui tendit le paquet, mains tremblantes, le souffle rauque. L'autre hocha lentement la tête, vérifia le contenu, puis, d'un geste précis, lui remit une petite fiole scellée et l'invita à l'intérieur pour reposer le coursier blême. Le liquide à l'intérieur captait la lumière lunaire encore suspendue dans les airs, un Rêve de Sanduruva, murmura-t-il.
Un distillat rare, capable d'endormir ou de montrer des visions. Crispin garda la fiole au creux de sa paume, comme on garde une prière interdite. Le petit matin, sentait la poussière d'ambre et la promesse du jour.
Crispin s'y tenait encore, à la porte du parfumeur, les doigts resserrés sur la fiole qu'on venait de lui confier. Le verre tiède captait les reflets du soleil levant, et pour la première fois depuis longtemps, la chaleur n'était pas épouvantable.
Il n'était pas homme de ces terres, ça se voyait à sa peau pâle, à ses yeux pleins de distance.
Lui, le chasseur, le moine du Monastère Valsonge, portait dans sa chair la raideur d'un monde où l'étranger inspire la peur, où les dieux ont un seul visage et les hommes, un seul cœur. Il avait appris à s'enfermer dans cette méfiance comme dans une armure : les Ao'ra, les Miqo'te, les Hrothgar, tous étaient pour lui des bêtes étranges, déguisées de manières humaines. Mais le vieil Ao'ra n’avait pas parlé comme une bête. Il l'avait regardé, longuement, avec cette lenteur tranquille des sages qui savent que la mort n'est qu'un souffle. Son regard, profond et calme, avait traversé celui de Crispin comme une lumière d'aube perçant la brume. Pas de peur. Pas de jugement. Seulement la reconnaissance d'un autre être usé.
Alors quelque chose s'était défait. Un nœud ancien, serré dans sa poitrine depuis trop d'années. Une honte peut-être, celle d'avoir haï sans connaître. Ou une fatigue, celle d'avoir tant combattu des fantômes qu'il avait créés lui-même.
Dans la jetée, Crispin inspira. Et dans la brume matinale, pour une fois, ne lui rappelait pas la suffocation de ses cauchemars, mais la douceur d'un monde vaste, vibrant, où les visages étaient innombrables, et les âmes aussi multiples que les langues qu'il entendait dans les ruelles. L'opium, les grenades soporifiques, les nuits de démence tout cela lui parut soudain si lointain, comme une autre vie. L'échange, simple et humain, avec cet Ao'ra, avait eu sur lui l'effet d'une confession. C'était cela qu'il avait cherché depuis le début, pas l'oubli, mais la paix. Alors il marcha à travers les ruelles encore tièdes de la nuit, les mains vides, le cœur clair. Les visages autour de lui n'étaient plus des étrangetés menaçantes. Et dans le reflet des bassins d'eau colorée, il vit son propre visage, moins dur, moins tendu, lavé de son ancienne haine.
Crispin, le chasseur, venait de déposer une part de lui-même à Radz-at-Han.Dans ce port d'épices et de couleurs vives, il n'était plus le geôlier de sa peur. Il était un homme ni plus, ni moins enfin délivré. Mais si la rencontre du vieil ao'ra l'avait déjà chamboulé, c'est ensuite qu'il finit par trouver un sincère remède.
Une échappatoire au tremblement, à la faim d'un autre genre, celle qui brûle sous la peau quand l'esprit n'en peut plus de lutter. Radz-at-Han, pour lui, n'était qu'un refuge provisoire, un labyrinthe d'odeurs et de couleurs où se cacher le temps que le manque s'éteigne il en avait peut-être même oublié la mission au final. Mais les addictions ne meurent pas, elles se transforment. Et parfois, la transformation prend visage humain.
Hellia avait cette manière d'être là sans envahir, de parler sans troubler. Quand elle l'accueillit pour la première fois dans la salle d'indigo et de safran de cette maison de charmes, Crispin ne sut pas pourquoi il resta. Sans doute parce qu'elle ne lui demanda rien. Ni offrande, ni excuse.
Seulement de respirer.
Et cela, il avait oublié comment faire.
Les séances se succédèrent, semblables et pourtant différentes. Au début, il ne savait qu'obéir : inspirer, retenir, expirer, suivre la voix, le rythme, la règle. Cela, il savait faire, la discipline, il l'avait apprise dans la boue, dans la chasse, dans l'effort. Mais ici, l'obéissance n'était pas une arme : c'était un abandon. Chaque souffle arrachait un peu du froid du Gévaudan, de cette méfiance d'homme-né dans la pierre et la peur des autres. Les races, les visages, les peaux, les cornes, les queues, tout ce qu'il fuyait jadis devenait peu à peu simple variation de la même lumière.
Hellia parlait d'union, non de chair mais d'équilibre. Et lui, crispé, fermait les yeux pour que ses mains cessent de trembler. Il apprit à sentir sans désirer, à écouter sans se perdre. À reconnaître la chaleur sans la craindre. Puis vint un jour où elle s'approcha davantage après de multiples séances. Sa main resta suspendue dans l'air, à deux doigts de son épaule. Rien ne le touchait, pourtant, tout le toucha. C'était un poids de confiance, d'accord tacite. Le silence avait pris la place du contrôle. Et dans ce silence, quelque chose céda, non une barrière, mais un serment intérieur.
Leur souffle se mêla sans contact. Puis la distance, lentement, se fit moindre. Quand enfin la peau rencontra la peau, ce ne fut pas un heurt mais une prière. Aucun mot ne fut dit, aucune promesse n'éclata. Seulement ce geste ancien, presque sacré, où deux êtres cessent de vouloir se guérir et se tiennent simplement : présents, lucides, vivants.
Hellia ne fit rien pour retenir, ni prolonger. Elle se contenta d'un regard paisible, d'un souffle partagé. Et lui, pour la première fois depuis longtemps, ne sentit ni honte ni faim. Seulement la paix. Le monde extérieur pouvait bien s'agiter, lui, dans ce cercle rouge tracé sur le sol à l'aide d'une cordelette, venait d'apprendre à ne plus haïr ce qu'il était.
Après une discussion avec le maître du bordel, Crispin écouté les mécaniques du pouvoir, les rouages de la peur, les fondations des maisons closes dans la crasse, celles qui s'imposent dans le venin, il lui avait dit qu'on ne construisait pas la lumière sans se salir les mains et qu'il souhaitait vraiment bâtir un bordel pour connaître les secrets du Gévaudan au profit de ses maîtres, il devait d'abord accepter de se regarder dans un miroir de brutalité et de réussir à tirer son épingle du jeu car les maisons qui savent tout finissent par n'avoir plus rien à offrir que le venin qu'elles ont avalé. Les ruffians voudront leur rente, les maris leur chair à venger, les autorités leur tribu.
Ces rencontres l'avait changé, en bien, il avait encore ses fêlures, sa violence et désormais, sa lucidité de chasseur était revenue, son regard blême voyait toujours le monde différemment mais au lieu de tout voir en noir, il y avait des nuances de gris. Pour sûr, il évolue, il change, il s'adapte, Crispin est un chasseur sagace qui apprend de son environnement, il suit la courbure des fleuves, il écoute les plaintes du vent, il sait suivre les habitudes des proies, ce dégénéré est un véritable maître de la dissimulation pour se cacher dans la nature, dans l'ombre, et bientôt dans la société. Ce boucher sanguinaire n'a pas fini de surprendre.

La Vengeance - "Je suis un Riverhood."
Par Kin
Tout autour du vicomte, la panique était de mise dans la salle du conseil. Plusieurs chevaliers blancs et officiers de la garde blanche, fidèle armée des Riverhood, faisaient entendre leurs désaccords mutuels sur la considération qu'il fallait porter à la situation frontalière au sud. Derek se tenait, pour sa part, dans le siège du seigneur de la demeure, en tête de table, les deux mains sur la tête alors qu'il tentait de faire sens dans son esprit... Puis soudainement, le silence se fit, amené par le bruit sourd de la porte qu'on ouvrait avec violence. Un garde blanc, un messager, le souffle court, les yeux grands ouverts.
"Monsieur le vicomte ! Les bannières de la maison Sombronce ont passé la frontière avec deux armées et remontent sur Sylvefer !"
La colère éclata de plus belle dans la salle alors que les hommes présents hurlaient les uns sur les autres, certains s’accusant de prudence excessive, d’autres d’excès de zèle qui avaient amené à ce conflit... En réalité, nul ne savait vraiment ce qui avait provoqué cette situation. Et sûrement était-ce là l’origine de toute cette agitation : l’absence d’explication. Pourtant, le messager ne partait toujours pas, observant juste les chevaliers et ses supérieurs s’égosiller. Et petit à petit, chacun constata que le jeune homme était toujours présent. Alors, le silence revint.
"... Nous avons également des nouvelles de Portelune, monseigneur. Le fortin est sous siège de la maison Sévillon. Le baron Valsonge est bloqué à l'intérieur."
Cette fois-ci, ce fut le silence qui accueillit cette nouvelle. La réalisation que l’ennemi était double... Et qu’une alliance que nul n’aurait jamais cru possible était née au sud de leurs terres, au nom d’un casus belli que nul ne parvenait encore à identifier. L’un après l’autre, les chevaliers et soldats tournèrent leur regard vers leur seigneur, le protecteur malgré lui de Gévaudan.
"Monseigneur... Que faisons-nous ?"
Dans une piètre image d’impuissance, Derek resta une clochette entière le visage baissé, les mains sur sa tête, présentant une image bien peu flatteuse de lui-même. Était-ce donc là la limite d’un Ul’dien qui n’était réellement bon qu’à compter les gils ? Mais alors que quelques murmures s’élevaient dans la salle, il ressortit enfin la tête de son abri en prenant une grande inspiration.
"Nous ignorons le casus belli derrière cet assaut. La loi ishgardaise en réclame forcément un pour une telle offensive. Mais je n’ai pas le temps de le chercher... Alors nous irons demander au baron de Sombronce de quel droit il nous attaque.
- Vous... souhaitez aller vous entretenir avec le baron, monseigneur ?
L’un des chevaliers posa la question avec une surprise partagée par l’ensemble des autres présents. La diplomatie n’était actuellement pas de mise. Alors pourquoi ? Lentement, le seigneur Riverhood se releva de sa chaise, réajustant son haut.
"Je vais aller m’entretenir avec le baron Sombronce, oui. J’irai lui poser la question moi-même... avec vos bannières à mes côtés. Contactez les barons Éridanie d’Astrid et Belmont. Ordonnez-leur de lever leurs troupes et de rejoindre l’armée au sud. Et donnez l’ordre de marche. Nous regroupons la totalité des hommes de l’Œil du Loup, Dracombre et Charousse, pour aller protéger Sylvefer. Faisons confiance aux Valsonges pour protéger leur forêt jusqu’à ce que nous puissions leur porter secours."
Un moment de calme s’installa alors que les différents hommes présents jaugeaient le vicomte et ses mots. Plus petit et moins robuste que la totalité d’entre eux, il s’efforçait cependant, enfin, à rentrer dans les bottes qui étaient les siennes. À cela, un son unique retentit : celui du poing que l’on frappe contre son torse, geste que tous offrirent à leur seigneur partant en guerre à leurs côtés.
"Monsieur le vicomte ! Les bannières de la maison Sombronce ont passé la frontière avec deux armées et remontent sur Sylvefer !"
La colère éclata de plus belle dans la salle alors que les hommes présents hurlaient les uns sur les autres, certains s’accusant de prudence excessive, d’autres d’excès de zèle qui avaient amené à ce conflit... En réalité, nul ne savait vraiment ce qui avait provoqué cette situation. Et sûrement était-ce là l’origine de toute cette agitation : l’absence d’explication. Pourtant, le messager ne partait toujours pas, observant juste les chevaliers et ses supérieurs s’égosiller. Et petit à petit, chacun constata que le jeune homme était toujours présent. Alors, le silence revint.
"... Nous avons également des nouvelles de Portelune, monseigneur. Le fortin est sous siège de la maison Sévillon. Le baron Valsonge est bloqué à l'intérieur."
Cette fois-ci, ce fut le silence qui accueillit cette nouvelle. La réalisation que l’ennemi était double... Et qu’une alliance que nul n’aurait jamais cru possible était née au sud de leurs terres, au nom d’un casus belli que nul ne parvenait encore à identifier. L’un après l’autre, les chevaliers et soldats tournèrent leur regard vers leur seigneur, le protecteur malgré lui de Gévaudan.
"Monseigneur... Que faisons-nous ?"
Dans une piètre image d’impuissance, Derek resta une clochette entière le visage baissé, les mains sur sa tête, présentant une image bien peu flatteuse de lui-même. Était-ce donc là la limite d’un Ul’dien qui n’était réellement bon qu’à compter les gils ? Mais alors que quelques murmures s’élevaient dans la salle, il ressortit enfin la tête de son abri en prenant une grande inspiration.
"Nous ignorons le casus belli derrière cet assaut. La loi ishgardaise en réclame forcément un pour une telle offensive. Mais je n’ai pas le temps de le chercher... Alors nous irons demander au baron de Sombronce de quel droit il nous attaque.
- Vous... souhaitez aller vous entretenir avec le baron, monseigneur ?
L’un des chevaliers posa la question avec une surprise partagée par l’ensemble des autres présents. La diplomatie n’était actuellement pas de mise. Alors pourquoi ? Lentement, le seigneur Riverhood se releva de sa chaise, réajustant son haut.
"Je vais aller m’entretenir avec le baron Sombronce, oui. J’irai lui poser la question moi-même... avec vos bannières à mes côtés. Contactez les barons Éridanie d’Astrid et Belmont. Ordonnez-leur de lever leurs troupes et de rejoindre l’armée au sud. Et donnez l’ordre de marche. Nous regroupons la totalité des hommes de l’Œil du Loup, Dracombre et Charousse, pour aller protéger Sylvefer. Faisons confiance aux Valsonges pour protéger leur forêt jusqu’à ce que nous puissions leur porter secours."
Un moment de calme s’installa alors que les différents hommes présents jaugeaient le vicomte et ses mots. Plus petit et moins robuste que la totalité d’entre eux, il s’efforçait cependant, enfin, à rentrer dans les bottes qui étaient les siennes. À cela, un son unique retentit : celui du poing que l’on frappe contre son torse, geste que tous offrirent à leur seigneur partant en guerre à leurs côtés.
État de la situation...

La Corruption - "Mère... la mer des étoiles... Est-ce un bel endroit...?"
Par Frenzy
Le jugement de la Vicomtesse de Riverhood était tombé, c'était plutôt une bonne nouvelle. J'étais bien apprêté, déjà "hâte" de retourner au dispensaire soigner mes patients adorés.
Mais le voyage du retour s'est... comment dire... mal passé. Je dois avoir des côtes cassés, une commotion cérébrale.. Et je crois bien avoir pleuré, à chaude larme.
Je suis dans la neige, mon corps ne me répond plus.. J'ai froid.. Oui j'ai très froid.. Mes doigts, je ne les sens plus...
Cette petite voix dans ma tête.. Je sens qu'elle est plus lente.. Que le ciel est beau.. et léger... Oui.
Je me sens partir...
Mère... La mer des Étoiles... Est-ce un bel endroit.. ?
Mais le voyage du retour s'est... comment dire... mal passé. Je dois avoir des côtes cassés, une commotion cérébrale.. Et je crois bien avoir pleuré, à chaude larme.
Je suis dans la neige, mon corps ne me répond plus.. J'ai froid.. Oui j'ai très froid.. Mes doigts, je ne les sens plus...
Cette petite voix dans ma tête.. Je sens qu'elle est plus lente.. Que le ciel est beau.. et léger... Oui.
Je me sens partir...
Mère... La mer des Étoiles... Est-ce un bel endroit.. ?

La Vengeance - L'ode aux prédateurs
Par Seluna
« Je ne suis plus Valsonge. »
La voix claqua et rebondit sur les murs lourds du monastère endormi.
« Je suis la gardienne de ce lieu. Je suis votre gardienne. »
Les lames croisées dans le dos, la femme, mère en devenir, avança. Ses pas faisaient écho entre les rangs serrés des novices comme un verdict.
« Les entraînements s’arrêtent ici. Votre tâche est simple, immuable : vous restez les prédateurs de ce Val. »
Son regard croisa celui de Valeryon, une inspiration partagée, un instant suffisant pour sceller une décision. L’erreur n’était plus permise. Le cerbère, trop mutilé pour mentir, se relevait à peine : pattes enfoncées dans les cendres, gueule barbouillée de sang et de salive.
« Vous serez la nuit. Vous serez les ombres. Protégez cette forêt, ou renoncez à votre avenir. Tuez - et tuez vite. Ceux qui prouveront leur valeur conserveront leur place. Maintenant : dehors. »
La voix claqua et rebondit sur les murs lourds du monastère endormi.
« Je suis la gardienne de ce lieu. Je suis votre gardienne. »
Les lames croisées dans le dos, la femme, mère en devenir, avança. Ses pas faisaient écho entre les rangs serrés des novices comme un verdict.
« Les entraînements s’arrêtent ici. Votre tâche est simple, immuable : vous restez les prédateurs de ce Val. »
Son regard croisa celui de Valeryon, une inspiration partagée, un instant suffisant pour sceller une décision. L’erreur n’était plus permise. Le cerbère, trop mutilé pour mentir, se relevait à peine : pattes enfoncées dans les cendres, gueule barbouillée de sang et de salive.
« Vous serez la nuit. Vous serez les ombres. Protégez cette forêt, ou renoncez à votre avenir. Tuez - et tuez vite. Ceux qui prouveront leur valeur conserveront leur place. Maintenant : dehors. »
