[Riversonge III] Les fondations de Gévaudan


Introduction
Tic tac, tic tac… Le bruit des horloges de la demeure Riverhood cliquette à son rythme régulier, comme pour annoncer une course effrénée contre la plus grande force de ce monde, la seule qui survit à toutes celles et ceux qui ont osé la défier : le temps.
En parfaite synchronie avec ce battement immuable, un homme avance dans les couloirs de la demeure des seigneurs de Gévaudan.
Sur son passage, domestiques et chevaliers blancs écarquillent les yeux et s’écartent de son chemin, non par crainte, mais par respect. Tic tac font ses pas, à mesure qu’il progresse, vêtu de son impeccable tenue aux couleurs de l’Ordre qu’il sert et dirige. Ses cheveux grisonnants et les quelques rides marquant son visage sont les seules preuves qu’il est, lui aussi, soumis aux saisons qui passent.
D’une main posée sur la poignée, il ouvre la porte et pénètre dans le bureau du vicomte, actuel régent de Gévaudan.
"Messire de Riverhood, je suis Augustin Beauvais, directeur de la Tour. J’espère que vous ne m’en voudrez pas d’entrer ainsi sans avoir été annoncé. Je reviens d’un long voyage, et j’ai cru comprendre que Madame la vicomtesse est actuellement absente de ses terres. Ainsi, puisque le temps est une ressource précieuse, permettez-moi d’aller droit au but : je souhaite rendre visite à une vieille amie de Gévaudan."
En parfaite synchronie avec ce battement immuable, un homme avance dans les couloirs de la demeure des seigneurs de Gévaudan.
Sur son passage, domestiques et chevaliers blancs écarquillent les yeux et s’écartent de son chemin, non par crainte, mais par respect. Tic tac font ses pas, à mesure qu’il progresse, vêtu de son impeccable tenue aux couleurs de l’Ordre qu’il sert et dirige. Ses cheveux grisonnants et les quelques rides marquant son visage sont les seules preuves qu’il est, lui aussi, soumis aux saisons qui passent.
D’une main posée sur la poignée, il ouvre la porte et pénètre dans le bureau du vicomte, actuel régent de Gévaudan.
"Messire de Riverhood, je suis Augustin Beauvais, directeur de la Tour. J’espère que vous ne m’en voudrez pas d’entrer ainsi sans avoir été annoncé. Je reviens d’un long voyage, et j’ai cru comprendre que Madame la vicomtesse est actuellement absente de ses terres. Ainsi, puisque le temps est une ressource précieuse, permettez-moi d’aller droit au but : je souhaite rendre visite à une vieille amie de Gévaudan."

Un cri déchire l’air, suivi d’un râle d’agonie, puis le silence. Vêtu de son manteau, le Père-Baron Valsonge se redresse, le regard posé sur la victime de ses traitements. Devant lui, un corps enchaîné à la pierre, dont le sang s’écoule par les yeux, les oreilles et les lèvres. Assurément, il est mort… Mais il a souffert. Qu’importe. Entre ses mains, Norberteaux tenait un papier sur lequel était griffonné, de sa propre écriture, un mot. Un nom.
Avant de se détourner, le Père-Baron adresse un dernier regard, empli de dédain, à celui qui a subi les affres de ses méthodes, puis entame sa marche vers la sortie de la caverne dissimulée au cœur des terres les plus délaissées du Coerthas. À ses côtés, un long serpent blanc, d’une taille remarquable, glisse sur le sol, se confondant presque avec la neige et la glace du manteau coertien.
"Maintenant, Naguiri… Voyons si les Riverhood sont réellement prêts à mettre les ressources nécessaires pour le traquer, ou si leurs mots sont aussi vides que je l’ai toujours pensé."
Avant de se détourner, le Père-Baron adresse un dernier regard, empli de dédain, à celui qui a subi les affres de ses méthodes, puis entame sa marche vers la sortie de la caverne dissimulée au cœur des terres les plus délaissées du Coerthas. À ses côtés, un long serpent blanc, d’une taille remarquable, glisse sur le sol, se confondant presque avec la neige et la glace du manteau coertien.
"Maintenant, Naguiri… Voyons si les Riverhood sont réellement prêts à mettre les ressources nécessaires pour le traquer, ou si leurs mots sont aussi vides que je l’ai toujours pensé."

Dans son propre bureau, Adrien s’est enfoncé dans son siège, un document serré entre ses mains. Il le lit avec gravité, ses doigts se crispant sur le papier, qu’il finit par froisser d’agacement. Soudain, il se redresse d’un bond et enfile un manteau épais. Il s’arrête un instant devant son arme -symbole de son rôle, de son rang et de son allégeance- puis, sans plus d’hésiter, la prend et l’attache à sa ceinture. Il ouvre alors la porte donnant sur l’un des nombreux couloirs du ministère et attrape le premier de ses subordonnés qui passe.
"Faites prévenir Madame la vicomtesse de Riverhood que je souhaite m’entretenir avec elle au plus vite. Et ce n’est pas une proposition."
L’homme, surpris, hoche vivement la tête avant de s’exécuter, filant à toute vitesse pour transmettre les ordres de son supérieur.
Adrien sort ensuite de la voûte d’un pas rapide, mais maîtrisé. Son regard se tourne vers le Tribunal du Saint-Office ; ses yeux se plissent, méfiants.
"Que préparez-vous, Bertrand Matignon…"
"Faites prévenir Madame la vicomtesse de Riverhood que je souhaite m’entretenir avec elle au plus vite. Et ce n’est pas une proposition."
L’homme, surpris, hoche vivement la tête avant de s’exécuter, filant à toute vitesse pour transmettre les ordres de son supérieur.
Adrien sort ensuite de la voûte d’un pas rapide, mais maîtrisé. Son regard se tourne vers le Tribunal du Saint-Office ; ses yeux se plissent, méfiants.
"Que préparez-vous, Bertrand Matignon…"


La Trahison - "Chien reconnait chien."
Par Crispin
Radz-at-Han, la cité des mille senteurs et des marchands. Crispin n'y mit pas un pied qu'il suait déjà comme un condamné sous le soleil de cuivre. L'air lui collait à la peau, les épices à la gorge, et dans cette moiteur, quelque chose de mauvais s'éveillait. Loin du monastère, loin des regards, le Frère à nouveau chasseur s'acheta en silence : un sachet d'opium, troqué contre la moitié de sa bourse et le reste de sa raison.
La nuit tombée, la Chambre d'Or se remplit d'une fumée paresseuse. Crispin s'y perdit, pipe en main, œil vague, l'âme chavirée. L'euphorie d'abord, douce, presque pieuse, avant que la paranoïa ne vienne gratter derrière ses tempes. Alors, le limier se réveilla. Il fouilla tout : sous le lit, derrière les tableaux, aux coins des murs. Il renversa la pièce comme on retourne une tombe. Le délire prit le pas sur l'homme. Dans le couloir, oreille collée au plâtre, murmurant des prières pour couvrir le bruit des espions qu'il croyait entendre. Il serait même monté à l'étage pour écouter à la porte du Père-baron, Puis plus rien. Le sommeil qu'il cherchait tant eut raison de lui, sur un coup de fatigue soudain, il est retourné dans sa chambre pour s'endormir, le sommeil qu'il cherchait tant.
La nuit tombée, la Chambre d'Or se remplit d'une fumée paresseuse. Crispin s'y perdit, pipe en main, œil vague, l'âme chavirée. L'euphorie d'abord, douce, presque pieuse, avant que la paranoïa ne vienne gratter derrière ses tempes. Alors, le limier se réveilla. Il fouilla tout : sous le lit, derrière les tableaux, aux coins des murs. Il renversa la pièce comme on retourne une tombe. Le délire prit le pas sur l'homme. Dans le couloir, oreille collée au plâtre, murmurant des prières pour couvrir le bruit des espions qu'il croyait entendre. Il serait même monté à l'étage pour écouter à la porte du Père-baron, Puis plus rien. Le sommeil qu'il cherchait tant eut raison de lui, sur un coup de fatigue soudain, il est retourné dans sa chambre pour s'endormir, le sommeil qu'il cherchait tant.


La Corruption - La Voie de la Corruption
Le Ministère des Affaires Étrangères, quelques jours à peine après son accouchement. On entendait derrière la porte, dans les longs couloirs pavés de pierres froides, les allées et venues frénétiques des employés du ministère tandis que dans la salle de réunion qu'elle n'avait pas revu depuis le début d'année, depuis la fin de l'affaire Staodan en réalité, chacun allait de son commentaire. Une grande salle, une convocation urgente, et par conséquent suspecte, de la part d'un membre éminent du ministère : rien ne présergeait rien de bon. Et comme le son du glas, le couperet tomba.
"Ils ont déposé une plainte officielle devant le Tribunal du Saint-Office, affirmant que les déboires du Gévaudan impactent leurs terres, et réclament le droit de répondre en conséquence. Ils accusent la famille Riverhood d'avoir échoué à son devoir ancestral de contenir la menace du néant qui déborde sur leur population."
Elle ne l'avait pas vu venir, pas plus qu'Elric, Zael et Midra qui l'accompagnèrent en tant que représentants de leurs familles et ordres respectifs. Personne, en vérité, n'aurait pu prévoir cette attaque conjointe et perfide des deux baronnies ayant choisi de s'allier contre les Riverhood. Les familles Sombronce et Sévillon venaient sans sommation aucune, de déclarer la guerre au Loup Blanc.
Elric souffla du nez, Zael se pinça l'arête du nez tandis que Midra tut rapidement son commentaire sur les récentes actions de Derek en sentant l'humeur écrasante de Lenore en face de lui qui avait douloureusement quitté le berceau de son fils à peine né pour venir entendre pareille nouvelle.
Quelle ironie. Du peu qu'elle connaissait des Sombronce, la famille de sa mère, il s’agissait d’une maison qui avait, certes, connu le deuil de ses barons presque au même moment que celui de ses propres parents, mais de là à la tenir pour responsable de la mort de Mérédith ? Jamais on n'avait osé la lui faire, celle-là. Son cousin Valentin pouvait bien avoir été proche de sa tante, cette soif de vengeance n’avait aucun sens. Et si elle devait recommencer ce qu’elle avait imposé à Célestin un an et demi plus tôt, elle le referait sans hésiter. Du reste, Amandine de Sévillon, veuve depuis deux ans seulement et régente au nom de son fils encore en bas âge, n'était pas sans lui rappeler cette Marguerite de Scisée quelques années plus tôt : rongée par l'ambition et le pouvoir. On la disait redoutable à la cour. Qu'à cela ne tienne, Lenore n’avait plus rien à prouver. Les jeux de la cour n’avaient plus de secret pour elle, tirer son épingle du jeu serait presque un passe-temps.
Néanmoins, si les intrigues lui étaient familières, elle ne pouvait pas en dire autant de la sphère légale. Et plus elle écoutait parler Adrien, plus elle bouillait de rage.
"Il s'agit du juge Bertrand Matignon qui sera en charge de cette affaire. Il vous recevra, ainsi que les représentants des maisons Sévillon et Sombronce, puis rendra son jugement sur la base des preuves et éléments qui lui seront apportés."
De tous les juges qu’elle avait pu croiser à Ishgard grâce à la fonction de Derek, Bertrand Matignon était sans doute le dernier qu’elle aurait voulu affronter. Convaincu d’une justice équitable, ce progressiste possédait des admirateurs le voyant comme un prophète guidé par la voix de Halone. Prophète, ou marionnettiste déguisé en homme de loi ? Cela, elle comptait bien le découvrir.
"Avons-nous une date pour ce procès ? demanda Elric.
- Ce samedi."
Lenore ferma les yeux, préférant ne rien laisser paraître.
"Si tôt... Nous devrons donc rester à Ishgard, je présume.
- En effet. J'ai... déjà veillé à agir dans l'objectif de votre défense. La maison Fortemps est certe obligée de rester neutre et de contempler la décision de justice finale, mais vous avez oeuvré sous mes ordres. Je me suis permis de déjà récolter mes propres témoignages pour faire note de votre droiture, et celles de vos vassaux. Mais en effet. Le temps sera court."
Zael se gratta le crâne, le visage fermé, incapable de dissimuler son ennui.
"C'est déjà un bon point."
La réunion s’acheva tard, dans un silence lourd et amer. Adrien leur avait laissé la salle s'ils voulaient travailler leur défense quant au procès qui les attendait, mais Zael et Midra prirent congé, épuisés par tant de tension. Ne restaient qu'Elric et la vicomtesse, debout face à l'immense vitrail qui reflétait son regard inflexible, brisé par les vagues du verre. L'agent de la tour soupira.
"Bon, bon, bon, bien. Madame la vicomtesse ? J'aimerais ajouté quelques hypothèses, avant d'entamer un plan d'action."
Il ne s'attendait pas à ce qu'elle se retourne, son regard valsant d'un papier à l'autre sur la table, son esprit fusait dans tous les sens.
"J'ai plusieurs questions qui me taraude, et qui devront probablement être répondu plus tard. En première temps : Pourquoi ? Pourquoi ces deux baronnies ont-elles décidé d'attaquer maintenant ? Deuxièmement : Quel est l'élément extérieur qui leur permettent de se montrer à la fois entreprenant et agressif dans une accusation aussi lourde envers le loup blanc ?"
Il ne comprit pas tout de suite que, plus il parlait, plus il alimentait la fureur qui couvait en elle. L'ignorance... c'était bien l'une des seules choses qui pouvaient la mettre dans cet état, derrière les menaces envers sa famille.
"... Ce n'est ni la première, ni la dernière fois que l'on m'accuse de corruption d'une chose que je n'ai pas fait. Mais c'est d'un toupet d'oser insinuer ce genre de choses envers ma famille que je ne saurais tolérer.
- Le motif d'accusation n'est pas à être pise en compte, madame, fit Elric qui ne semblait pas effrayé par le ton de la vicomtesse. Non, celui-ci n'est qu'un tremplin pour gratter, petit à petit, vos terres et vos richesses."
Les mots du jeune homme, particulièrement avisés, avaient su l'hameçonner comme jamais on avait su le faire. Sauf, bien sûr, son époux. Elle s'approcha de lui, le pas encore lourd de sa récente convalescence.
Ils parlèrent longuement ce soir-là, loin des regards et des oreilles indiscrètes. Ce qu'elle n'avait pas prévu, pour la seconde fois de la soirée, c'était de trouver au coeur de ces intrigues sinueuses la présence d'une ami pas tout à fait amical, mais à la loyauté ancienne comme le Gévaudan lui-même.
"Ils ont déposé une plainte officielle devant le Tribunal du Saint-Office, affirmant que les déboires du Gévaudan impactent leurs terres, et réclament le droit de répondre en conséquence. Ils accusent la famille Riverhood d'avoir échoué à son devoir ancestral de contenir la menace du néant qui déborde sur leur population."
Elle ne l'avait pas vu venir, pas plus qu'Elric, Zael et Midra qui l'accompagnèrent en tant que représentants de leurs familles et ordres respectifs. Personne, en vérité, n'aurait pu prévoir cette attaque conjointe et perfide des deux baronnies ayant choisi de s'allier contre les Riverhood. Les familles Sombronce et Sévillon venaient sans sommation aucune, de déclarer la guerre au Loup Blanc.
Elric souffla du nez, Zael se pinça l'arête du nez tandis que Midra tut rapidement son commentaire sur les récentes actions de Derek en sentant l'humeur écrasante de Lenore en face de lui qui avait douloureusement quitté le berceau de son fils à peine né pour venir entendre pareille nouvelle.
Quelle ironie. Du peu qu'elle connaissait des Sombronce, la famille de sa mère, il s’agissait d’une maison qui avait, certes, connu le deuil de ses barons presque au même moment que celui de ses propres parents, mais de là à la tenir pour responsable de la mort de Mérédith ? Jamais on n'avait osé la lui faire, celle-là. Son cousin Valentin pouvait bien avoir été proche de sa tante, cette soif de vengeance n’avait aucun sens. Et si elle devait recommencer ce qu’elle avait imposé à Célestin un an et demi plus tôt, elle le referait sans hésiter. Du reste, Amandine de Sévillon, veuve depuis deux ans seulement et régente au nom de son fils encore en bas âge, n'était pas sans lui rappeler cette Marguerite de Scisée quelques années plus tôt : rongée par l'ambition et le pouvoir. On la disait redoutable à la cour. Qu'à cela ne tienne, Lenore n’avait plus rien à prouver. Les jeux de la cour n’avaient plus de secret pour elle, tirer son épingle du jeu serait presque un passe-temps.
Néanmoins, si les intrigues lui étaient familières, elle ne pouvait pas en dire autant de la sphère légale. Et plus elle écoutait parler Adrien, plus elle bouillait de rage.
"Il s'agit du juge Bertrand Matignon qui sera en charge de cette affaire. Il vous recevra, ainsi que les représentants des maisons Sévillon et Sombronce, puis rendra son jugement sur la base des preuves et éléments qui lui seront apportés."
De tous les juges qu’elle avait pu croiser à Ishgard grâce à la fonction de Derek, Bertrand Matignon était sans doute le dernier qu’elle aurait voulu affronter. Convaincu d’une justice équitable, ce progressiste possédait des admirateurs le voyant comme un prophète guidé par la voix de Halone. Prophète, ou marionnettiste déguisé en homme de loi ? Cela, elle comptait bien le découvrir.
"Avons-nous une date pour ce procès ? demanda Elric.
- Ce samedi."
Lenore ferma les yeux, préférant ne rien laisser paraître.
"Si tôt... Nous devrons donc rester à Ishgard, je présume.
- En effet. J'ai... déjà veillé à agir dans l'objectif de votre défense. La maison Fortemps est certe obligée de rester neutre et de contempler la décision de justice finale, mais vous avez oeuvré sous mes ordres. Je me suis permis de déjà récolter mes propres témoignages pour faire note de votre droiture, et celles de vos vassaux. Mais en effet. Le temps sera court."
Zael se gratta le crâne, le visage fermé, incapable de dissimuler son ennui.
"C'est déjà un bon point."
La réunion s’acheva tard, dans un silence lourd et amer. Adrien leur avait laissé la salle s'ils voulaient travailler leur défense quant au procès qui les attendait, mais Zael et Midra prirent congé, épuisés par tant de tension. Ne restaient qu'Elric et la vicomtesse, debout face à l'immense vitrail qui reflétait son regard inflexible, brisé par les vagues du verre. L'agent de la tour soupira.
"Bon, bon, bon, bien. Madame la vicomtesse ? J'aimerais ajouté quelques hypothèses, avant d'entamer un plan d'action."
Il ne s'attendait pas à ce qu'elle se retourne, son regard valsant d'un papier à l'autre sur la table, son esprit fusait dans tous les sens.
"J'ai plusieurs questions qui me taraude, et qui devront probablement être répondu plus tard. En première temps : Pourquoi ? Pourquoi ces deux baronnies ont-elles décidé d'attaquer maintenant ? Deuxièmement : Quel est l'élément extérieur qui leur permettent de se montrer à la fois entreprenant et agressif dans une accusation aussi lourde envers le loup blanc ?"
Il ne comprit pas tout de suite que, plus il parlait, plus il alimentait la fureur qui couvait en elle. L'ignorance... c'était bien l'une des seules choses qui pouvaient la mettre dans cet état, derrière les menaces envers sa famille.
"... Ce n'est ni la première, ni la dernière fois que l'on m'accuse de corruption d'une chose que je n'ai pas fait. Mais c'est d'un toupet d'oser insinuer ce genre de choses envers ma famille que je ne saurais tolérer.
- Le motif d'accusation n'est pas à être pise en compte, madame, fit Elric qui ne semblait pas effrayé par le ton de la vicomtesse. Non, celui-ci n'est qu'un tremplin pour gratter, petit à petit, vos terres et vos richesses."
Les mots du jeune homme, particulièrement avisés, avaient su l'hameçonner comme jamais on avait su le faire. Sauf, bien sûr, son époux. Elle s'approcha de lui, le pas encore lourd de sa récente convalescence.
Ils parlèrent longuement ce soir-là, loin des regards et des oreilles indiscrètes. Ce qu'elle n'avait pas prévu, pour la seconde fois de la soirée, c'était de trouver au coeur de ces intrigues sinueuses la présence d'une ami pas tout à fait amical, mais à la loyauté ancienne comme le Gévaudan lui-même.
Mais depuis quand Lenore de Riverhood avait-elle besoin d’amis dans le monde carnassier de la cour,
quand la loyauté seule lui suffisait ?
quand la loyauté seule lui suffisait ?


La trahison — les réminiscences des braises
"Qui n'est jamais tombé n'a pas une juste idée de l'effort à faire pour se tenir debout." - Multatuli
À l'orée d'une de ces nuits parmi tant d'autres, le chevalier rouge de Gévaudan perdait, une fois de plus, ses songes dans la discorde soufflée des étoiles. Cette voûte ensorcelante, qui avait le don d'arracher ses doutes et ses peines, ne répondait plus à ses appels de détresse. Qui le ferait, sinon ? Peu importe où son regard se tournait : il n'y voyait alors que le noir, que la sombre illusion d'une solitude sans nom. Que le songe infini où se mêlaient fond de vérités et surface de doutes, que l'infinie tristesse de s'abreuver de ce froid mordant qui lui faisait comprendre, à chaque instant, qu'il était seul. Plus que jamais : loin des siens, loin de ses terres, loin de ceux qu'il aimait.
Les mots du Père-Baron résonnaient dans son esprit, éprouvant à quel point ses pensées étaient lourdes. Il ne restait, de ces cendres, que la fine étincelle produite par ces mots si bien trouvés. Des paroles d'une précision sans pareille, visant précisément au milieu de ce brouillard aux teintes ternes et blafardes, à l'épicentre même où ses songes ne pouvaient que résonner sans jamais raisonner.
— « J'ose imaginer que vous, plus que d'autres, souhaitez mettre la main dessus, Astelbrand. »
— « Je gage que nous avons tous la hargne de poursuivre l'impie, pour nous qui voulons protéger Gévaudan. »
— « Vous avez une histoire personnelle avec l'impie.
« Clairval. »
Royenhardt perdit un battement de cœur sur ces mots. Comme un lourd souvenir qui, jamais auparavant, n'avait été aussi surprenamment ressassé. Dans ce dédale exigu de cassures, de débris et de ruines, dans ce givre éternel qui tapissait l'esprit du chevalier rouge, était née cette insatiable braise. La première braise parmi ces flammes autrefois inextinguibles, qui reprit peu à peu la lueur vacillante d'une flammèche à naître. Elle n'était pas de celles qui rallument le bois chaud d'un âtre réconfortant, ni de ces encens fumants et apaisants ; elle était le témoin d'un réveil chez le chevalier, d'une prise de conscience qu'il n'avait pas eue depuis longtemps.
— « Sûrement gagnerez-vous en motivation en apprenant que, lors de la seconde bataille de Clairval, les cultistes qui en ont occupé les ruines étaient au service de la Main d'Or. Cet impie n'est pas un simple impie. Il a désacralisé le village qui habite encore vos cauchemars.
« Peut-être bien est-il à l'origine de la première attaque également. Alors que vous n'étiez qu'un enfant. »
Les souvenirs étaient là. En un triste hommage de cette nuit de hurlements calcinés et de souffrances écoulées, demeurait l'éternelle fracture craquelée sur sa joue et la moitié de son visage. Instinctivement, le chevalier heurta le bout de ses doigts froids sur son bandeau et les restes de sa peau mordue. Il se rejouait, sans peine, cette intense sensation : les flammes déchirant sa chair, éclatant chaque vaisseau sanguin dans un festival morbide de sang et de douleurs.
Cette vue limpide, dont il n'oublierait jamais aucun détail : l'étendue en ruines de ce bâtiment s'écrasant lentement sur la silhouette de feu son père, mort en essayant de sauver des enfants qui perdirent la vie avec lui. Si les larmes d'une peine jamais essoufflée ne remontaient pas jusqu'à ses yeux, il en était tout autre de cette frustration presque bestiale, sauvage, exprimée à l'intérieur de ses poings serrés et brûlants de haine. La colère et la rage étaient tout ce qui demeurait dans cette brume de solitude, celle-là même distillée dans le regard éprouvé de Royenhardt.
Si ces émotions bouillonnantes étaient une énergie, elles alimentaient un moteur inarrêtable déjà lancé à pleine vitesse. Une fin sûrement précipitée, comme on jetterait l'imprudent dans les crocs de la mort. Ça n'avait pourtant rien de nouveau pour le chevalier téméraire de Gévaudan ; celui-là même qu'on connaissait pour ses prises de risques inconsidérées. Celui-là même qu'on connaissait pour ces danses macabres, alors au creux même d'une grande main funeste, tel une marionnette désarticulée qui jouerait un spectacle dont lui-même ignore l'existence. Même face à des spectateurs carnassiers avides de voir le prochain pas. Que serait ce fameux pas, cette fameuse progression ? Comment serait la fin à une aussi triste histoire, ce conte tragique dans lequel Royenhardt jouait aussi bien sa réussite que sa déchéance, autant dans sa vie que dans sa mort.
Dans ce genre de romans, on oublie bien vite qu'à chaque héros, sa mort. De la même façon qu'à chaque flamme ne restent que ses cendres. Si les ailes du phénix eurent l'audace d'emporter la persévérance du chevalier jusqu'à l'apothéose de ses arts, alors qu'à cela ne tienne : il se jouerait ainsi un drame comme bien souvent le Gévaudan en a connu. Et à l'épicentre du triste cratère qui en résulterait, le chevalier serait l'idiot Icare, dont le sourire brillant et satisfait contrasterait avec peine la destruction qu'il se serait lui-même infligée. Alors, à en juger par ses yeux, par cette triste lueur ravivée, ce n'était que la seule fin possible à toute cette mascarade.
— « Dans ce cas, c'est lui que je dois pourfendre », grogna le chevalier aux yeux ardents, tout juste éclairés d'une lueur qui ne trompait pas ses intentions. Là où le commun naïf y verrait une détermination renouvelée, le souffle d'une flamme ranimée, ceux qui ont déjà arpenté les abysses sombres de la mort et de la fin y sentiraient l'aspect destructeur : la vengeance. Ce feu noir et froid qui avait pour morsure l'infini soupir d'une peine qu'on ne calmait pas, et d'une fin qu'on ne voyait jamais.
— « Je dois venger mon père », furent ainsi ses dernières paroles en cette soirée, sur ce premier pas en avant.
Qui sait où ces paroles le mèneront, à présent ? Cet envol soudain et ces ailes renouvelées l'emmèneront-ils dans la gloire ou dans son ultime déchéance ?